Je ne présente plus Michael Pisaro que j'ai déjà chroniqué ici
plusieurs fois, je dirais seulement et simplement qu'il est certainement
le membre le plus éminent du collectif Wandelweiser, cet extraordinaire
groupe de compositeurs travaillant autour du minimalisme, du
réductionnisme, de l'aléatoire, de l'improvisation et surtout, du
silence. Pour Hearing Metal 2, deux noms sont cités, Pisaro et
Greg Stuart, mais sans aucune indication, je suppose que Pisaro a écrit
la pièce, s'est occupé des field-recordings et de l'électronique, tandis
que Stuart a du participé à l'interprétation, notamment aux percussions
(je viens de retourner sur le site de Gravity Wave où Michael Pisaro a
ajouté quelques informations, et j'avais vu juste apparemment).
Hearing Metal 2 est une œuvre composée d'après le sculpteur Constantin Brâncuși, et divisée en deux parties plus une coda. Connaissant peu le sculpteur, je ne chercherai pas
les références possibles, mais il doit bien y en avoir, dans la mesure
où il s'agit d'un pionnier de la sculpture abstraite et minimaliste. La première partie de cette œuvre est
une suite (dans l'acceptation musicale de ce mot) de séquences
électroniques ou pré-enregistrées, apparemment très marquées par
l'élément liquide, et entrecoupées de silences numériques. Les premières
séquences ont clairement été enregistrées sur une plage, et tout le
reste des séquences continue d'évoquer ce mouvement perpétuel et infini
de l'océan: les séquences arrivent par vagues, et finissent de la même
manière. Différentes côtes semblent avoir été saisies, puis mélangées,
auxquelles s'ajoutent progressivement des ondes sinusoïdales, des
fréquences radios, un orgue et des fréquences analogiques, entre une
musique d'ambiance des années 80 et des ondes Théremine. Le tout
toujours entrecoupé de silences purs et imposants, silences d'où surgit
la musique, et où elle retourne inéluctablement. Comme soumises au
destin (il y a toujours cette espèce de dramaturgie dans la linéarité
des œuvres de Pisaro, et c'est surement ce qui me touche le plus), les
séquences s'enrichissent et s'intensifient en prenant de la densité,
mais elles s'enrichissent trop pour s'accommoder du silence, la proximité devient impossible, d'où la nécessité de cette seconde partie où le silence paraît banni et refoulé.
Si un élément devait caractériser cette seconde phase,
ce serait certainement la terre. Car la seconde partie est constituée
d'une nappe monolithique et linéaire, qui a plus à voir avec la lente
croissance des végétaux et la vie géologique des minéraux. Mais on peut
également penser au feu, car les percussions de Stuart, tous ces
frottements harmoniques et métalliques qui apparaissent furtivement,
disparaissent et vivent de manière erratique rappellent aussi le
mouvement d'allure spontanée des flammes. Plus de silence ici, il s'agit
d'une longue nappe monolithique mais surtout pas statique qui évolue à
son propre rythme; ou plutôt à ses propres rythmes. Car les
différents éléments, électroniques ou acoustiques, qui la composent,
s'enchevêtrent et se mêlent au sein d'une structure complexe, où chaque
élément semble animé par son propre rythme et sa propre vie; quelque
chose comme les micropolyphonies de Ligeti. Long cluster
électroacoustique, cette nappe évoque l'aspect statique de la terre,
mais aussi sa vie réelle et animée, avec ses évolutions, ses croissances
et ses dynamiques. Croisements dynamiques et imbrications spatiales des
différents sons génèrent un drone mouvant et pesant, qui va
s'intensifiant durant la première moitié jusqu'au climax, avant de
s'aérer lentement et progressivement. Mais même cette intensification
est légère, peu perceptible, la progression se fait sensiblement, par
ajout constant de matériaux sonores, mais également par retrait, d'où
une fluctuation constante et une évolution qui paraît infinie, infinie
comme ces colonnes de Brâncuși d'ailleurs, car la perception du temps
durant cette pièce s'apparente en quelque sorte à celle de l'espace dans
certaines sculptures de l'artiste roumain.
Vous déduirai facilement que c'est l'air que j'ai ressenti durant
la troisième partie, avec son souffle et ses enregistrements de chants
d'oiseaux qui clôturaient déjà la première partie en réalité. Mais bon,
cela ne dure que deux minutes et ressemble plus à une coda qu'à une
partie à part entière, et il ne sert à rien que je m'attarde dessus, je
voulais juste pouvoir rassembler ces quatre éléments. Je finis juste en
notant la beauté des textures réunies durant tout au long de cette œuvre
monumentale, textures variées et vivantes au service d'une temporalisation du son étonnante.
Car la perception et la gestion du temps sont très singulières durant
cette œuvre, du fait de l'opposition entre une succession interminable
de séquences entrecoupées de silences et cette longue nappe monolithique
où l'espace est saturé et le silence impossible. Mais durant ces deux
moments, un sentiment d'infini et d'éternité traverse l'audition, Hearing Metal 2 semble ainsi pouvoir abolir la perception sociale du temps au profit d'une perception individuelle et subjective. Une œuvre très belle, originale et intelligente, recommandée!