Michael Pisaro/Greg Stuart - Hearing Metal 2 (Gravity Wave, 2011)

Je ne présente plus Michael Pisaro que j'ai déjà chroniqué ici plusieurs fois, je dirais seulement et simplement qu'il est certainement le membre le plus éminent du collectif Wandelweiser, cet extraordinaire groupe de compositeurs travaillant autour du minimalisme, du réductionnisme, de l'aléatoire, de l'improvisation et surtout, du silence. Pour Hearing Metal 2, deux noms sont cités, Pisaro et Greg Stuart, mais sans aucune indication, je suppose que Pisaro a écrit la pièce, s'est occupé des field-recordings et de l'électronique, tandis que Stuart a du participé à l'interprétation, notamment aux percussions (je viens de retourner sur le site de Gravity Wave où Michael Pisaro a ajouté quelques informations, et j'avais vu juste apparemment).


Hearing Metal 2 est une œuvre composée d'après le sculpteur Constantin Brâncuși, et divisée en deux parties plus une coda. Connaissant peu le sculpteur, je ne chercherai pas les références possibles, mais il doit bien y en avoir, dans la mesure où il s'agit d'un pionnier de la sculpture abstraite et minimaliste. La première partie de cette œuvre est une suite (dans l'acceptation musicale de ce mot) de séquences électroniques ou pré-enregistrées, apparemment très marquées par l'élément liquide, et entrecoupées de silences numériques. Les premières séquences ont clairement été enregistrées sur une plage, et tout le reste des séquences continue d'évoquer ce mouvement perpétuel et infini de l'océan: les séquences arrivent par vagues, et finissent de la même manière. Différentes côtes semblent avoir été saisies, puis mélangées, auxquelles s'ajoutent progressivement des ondes sinusoïdales, des fréquences radios, un orgue et des fréquences analogiques, entre une musique d'ambiance des années 80 et des ondes Théremine. Le tout toujours entrecoupé de silences purs et imposants, silences d'où surgit la musique, et où elle retourne inéluctablement. Comme soumises au destin (il y a toujours cette espèce de dramaturgie dans la linéarité des œuvres de Pisaro, et c'est surement ce qui me touche le plus), les séquences s'enrichissent et s'intensifient en prenant de la densité, mais elles s'enrichissent trop pour s'accommoder du silence, la proximité devient impossible, d'où la nécessité de cette seconde partie où le silence paraît banni et refoulé.


Si un élément devait caractériser cette seconde phase, ce serait certainement la terre. Car la seconde partie est constituée d'une nappe monolithique et linéaire, qui a plus à voir avec la lente croissance des végétaux et la vie géologique des minéraux. Mais on peut également penser au feu, car les percussions de Stuart, tous ces frottements harmoniques et métalliques qui apparaissent furtivement, disparaissent et vivent de manière erratique rappellent aussi le mouvement d'allure spontanée des flammes. Plus de silence ici, il s'agit d'une longue nappe monolithique mais surtout pas statique qui évolue à son propre rythme; ou plutôt à ses propres rythmes. Car les différents éléments, électroniques ou acoustiques, qui la composent, s'enchevêtrent et se mêlent au sein d'une structure complexe, où chaque élément semble animé par son propre rythme et sa propre vie; quelque chose comme les micropolyphonies de Ligeti. Long cluster électroacoustique, cette nappe évoque l'aspect statique de la terre, mais aussi sa vie réelle et animée, avec ses évolutions, ses croissances et ses dynamiques. Croisements dynamiques et imbrications spatiales des différents sons génèrent un drone mouvant et pesant, qui va s'intensifiant durant la première moitié jusqu'au climax, avant de s'aérer lentement et progressivement. Mais même cette intensification est légère, peu perceptible, la progression se fait sensiblement, par ajout constant de matériaux sonores, mais également par retrait, d'où une fluctuation constante et une évolution qui paraît infinie, infinie comme ces colonnes de Brâncuși d'ailleurs, car la perception du temps durant cette pièce s'apparente en quelque sorte à celle de l'espace dans certaines sculptures de l'artiste roumain.


Vous déduirai facilement que c'est l'air que j'ai ressenti durant la troisième partie, avec son souffle et ses enregistrements de chants d'oiseaux qui clôturaient déjà la première partie en réalité. Mais bon, cela ne dure que deux minutes et ressemble plus à une coda qu'à une partie à part entière, et il ne sert à rien que je m'attarde dessus, je voulais juste pouvoir rassembler ces quatre éléments. Je finis juste en notant la beauté des textures réunies durant tout au long de cette œuvre monumentale, textures variées et vivantes au service d'une temporalisation du son étonnante. Car la perception et la gestion du temps sont très singulières durant cette œuvre, du fait de l'opposition entre une succession interminable de séquences entrecoupées de silences et cette longue nappe monolithique où l'espace est saturé et le silence impossible. Mais durant ces deux moments, un sentiment d'infini et d'éternité traverse l'audition, Hearing Metal 2 semble ainsi pouvoir abolir la perception sociale du temps au profit d'une perception individuelle et subjective. Une œuvre très belle, originale et intelligente, recommandée!