Très étrange collaboration entre le guitariste portugais Abdul Moimême et le compositeur électroacoustique Ricardo Guerreiro. Sur Khettahu, publié par Creative Sources, Guerreiro utilise une plateforme informatique qui modifie en temps réel les deux guitares préparées d'Abdul Moimême, dès lors, la frontière se brouille entre le temps présent et le temps écoulé, entre l'improvisation et la composition. Car, comme c'est indiqué dans les notes, les deux musiciens se connaissent très bien et sont habitués à jouer ensemble, ils peuvent par conséquent préméditer ce qu'ils feront. Mais ces sept pistes enregistrées en studio se réclament tout de même de l'improvisation, la forme musicale est sensée être l’œuvre de la "spontanéité" et de "l'intuition". Où est la part de spontanéité dans cette connaissance intuitive peut-être, mais qui permet une organisation rationnelle des sons? Spontanéité et préméditation brouillent les pistes et font de cette musique un voyage où l'auditeur est emporté par des flots sans savoir dans quelle eau il nage, ou tente de nager.
Il y a les guitares d'Abdul Moimême à l'origine, guitares étranges aux sonorités industrielles, sereines, espacées, métalliques, puis à travers les modifications opérées par la plateforme numérique de Guerreiro, les sons prennent une autre dimension, remplissent et forment un espace sonore nouveau et étranger. A travers le travail de Guerreiro, les sonorités d'Abdul Moimême acquièrent une ampleur surprenante et extravertie. Il y a un décalage nécessaire entre la source sonore déjà entendue et la création de Guerreiro, décalage qui perd la musique dans un espace-temps paradoxal où le temps passé forme le temps présent. De plus, au niveau purement sonore, en-deçà des procédés de création musicale, les sons (co-)produits par l'électronique ne ressemblent à rien, paraissent parvenir d'une autre planète, une planète où l'espace et le temps seraient abolis d'une part, mais où l'attraction s'évanouirait; car les sons flottent, nagent, brillent, et se répercutent contre les sources d'Abdul Moimême qui forment le futur pour eux, car la guitare est toujours contemporaine d'un signal modifié déjà écoulé.
Le voyage est vraiment original certes, et le procédé pose des questions intéressantes, mais je ne pourrais pas dire que j'aime cette musique. Les pièces ont toutes leur intérêt formel et sonore, mais l'étrangeté et l'aspect extraterrestre donnent surtout l'impression et la sensation de se perdre. D'un côté, je pense qu'il suffit d'accorder toute sa confiance aux musiciens et de se laisser guider à l'intérieur de ce vaste univers méconnu pour en apprécier toutes ses subtilités, seulement, je crois aussi que l'auditeur devrait pouvoir se guider par lui-même, et il serait beaucoup plus facile dès lors d'apprécier réellement cette musique radicalement étrange et autre. Un univers sonore très original et singulier peut-être, mais pas dénué de longueurs... A écouter par curiosité surtout.
Tracklist: 01-#26 / 02-#34 / 03-#30 / 04-#29.1 / 05-#29.2 / 06-#29.3 / 07-#36