Muris est le nom d'un autre duo de Neil Davidson (guitare préparée), accompagné ici par Liene Rozite (flûte), tous deux originaires de Glasgow. Cette fois encore, ce CD-R est autoproduit et indique sommairement le titre des deux pistes présentes ainsi que deux séries de neuf questions incongrues et surréalistes comme: "Who would you rather have sex with: Boulez or Stockhausen?", ou plus pragmatique, "When will it end?", etc.
Improvisation ou composition, telle n'est pas la question ici, même s'il semblerait que ces pièces soient écrites. En premier lieu, notons l'utilisation très généreuse du silence, si généreuse que les interventions musicales ont parfois l'air de ponctuations plus qu'autre chose. Un silence omniprésent qui structure l'espace, tandis que les instruments produisent du relief et de l'intensité. Les interventions sont souvent très simples, peu expansives, et peuvent se réduire à une longue note linéaire à la flûte, à quelques percussions sur le corps de la guitare, à de légers mouvements sonores mécaniques. Un dialogue marqué par la discrétion et la modestie, mais beaucoup plus riche qu'il n'y paraît, riche de timbres variés, principalement grâce aux préparations et aux techniques savantes de Neil Davidson, mais également grâce aux quelques techniques étendues utilisées par sa collaboratrice, et surtout à la subtilité avec laquelle elle varie les attaques. Une collaboration sensible et réservée qui sait manier l'espace et les énergies avec attention et avec économie, sans tomber dans un minimalisme primaire. Car si la structure de ces pièces laisse le silence agir, il le laisse surtout pénétrer les sons mêmes, chaque bruit paraît retenu et timide, comme s'il n'osait pas émerger du silence. Ce qui permet alors de créer un espace original où le silence est structuré et aménagé dans un design particulier, mais où le silence fait également partie des matériaux qui structurent l'espace sonore de ce duo. Ceci-dit, tout n'est pas retenu durant ces deux pièces, les drones motorisés de Davidson peuvent occuper un espace considérable, ils peuvent même saturer l'espace par leur violence, tout comme certaines attaques à la flûte et à la guitare peuvent vite apparaître comme agressives et produire ainsi des pics d'intensité, des pics qui forment des reliefs énergiques impressionnants au sein de cet univers sonique déjà très singulier. Car si l'univers sonore de ce duo n'est pas très rassurant et peut paraître parfois agressif ou violent, notamment à travers les timbres utilisés, il n'en reste pas moins très fortement marqué par un caractère plutôt méditatif et contemplatif. 10 pin boring est plutôt une œuvre poétique et narrative qui parvient à se mouvoir avec délicatesse à travers un territoire parfois hostile, mais aussi rassurant lorsqu'il est plongé dans le silence. Car oui, le silence est ici rassurant dans la mesure où si les sons paraissent peiner à en sortir, s'ils ne sortent qu'avec réserve et timidité, on s'imagine dès lors très facilement ce silence comme un cocon maternel et affectueux, comme le seul élément encore capable de nous protéger d'une quelconque agression, notamment sonore.
Ces deux pièces, qui n'en sont peut-être qu'une seule tellement elles se succèdent avec évidence et sans transition, traversent un paysage parfois escarpé et parfois rassurant, mais toujours poétique et avec un grand souci de la gestion de l'espace sonore, gestion qui s'opère d'ailleurs avec une grande sensibilité. Muris chemine à travers un territoire riche mais linéaire, singulier et intelligent. Du bon boulot.
Tracklist: 01-10 pin boring / 02-Something else