Sheriffs of Nothingness est un duo norvégien composé de deux violonistes: Kari Rønnekleiv et Ole Henrik Moe. La première est au violon, et le deuxième à l'alto, pour ces onze pièces en grande partie improvisées, même si tous les deux sont plutôt issus de la musique savante. Je ne dis pas qu'ils proviennent de ce milieu gratuitement, car aucun des deux ne tente d'effacer son bagage et chacun semble apporter de nombreux éléments issus de cette tradition, notamment la clarté et la précision des structures mais également une virtuosité peu commune.
A propos de la virtuosité, on s'étonnera facilement des contrastes entre ces onze "miniatures" (chaque pièce ne dépasse que rarement les cinq minutes), contrastes présents dans les attaques qui peuvent aussi bien être imperceptibles qu'extrêmement explosives, mais également dans le toucher qui passe sans transition d'un frottement délicat à un raclement agressif. Mais la virtuosité n'est pas qu'instrumentale, le sens de l'équilibre et la gestion structurale des tensions sont également impressionnants tant ils sont précis et intelligents. Des nappes extrêmement denses et riches sont brutalement interrompues par des ruptures, par des intensités aux antipodes, tandis que la microtonalité omniprésente tend à maintenir ou à exacerber les tensions; ou bien les cordes se parlent et divergent dans une polémique virulente et agressive, aux tonalités abrasives et bruitistes. Si on peut parfois être frustré par la courte durée des pièces, l'intensité de chacune et l'intelligence de sa structure rattrapent cette frustration la plupart du temps: car si une pièce prend fin, c'est qu'il n'y avait pas d'autres solutions - c'est du moins ce que duo laisse ressentir. Chaque rupture, chaque coda, chaque fin, autant que la linéarité de certaines pièces, son agressivité ou sa douceur, tous ces éléments paraissent toujours nécessaires, aucune autre issue, technique, ou composition, ne pourraient les remplacer.
Onze improvisations qui se concentrent principalement sur la texture des cordes et sur les dynamiques possibles de ces cordes, selon les timbres utilisés. Et ces textures surtout ont vraiment quelque chose d'inouïes et d'inattendues, sans doute grâce à l'origine de ces musiciens qui ont su apporter une touche de nouveauté dans le répertoire pourtant peu exploité du duo de violons. Des timbres surprenants, mais aussi des dynamiques extrêmement intenses et puissantes, extrêmes et souvent violentes, voire agressives, que ce duo norvégien a l'intelligence de rééquilibrer par des phases lentes et douces, délicates et subtiles. Un très bon début dans le monde de l'improvisation pour ces deux interprètes/compositeurs norvégiens.