C'est déjà assez rare d'entendre du tuba, mais publier un
trio de tuba est une initiative encore jamais osée à ma connaissance. On doit
cette réunion improbable autour du grand tubiste Robin Hayward (ici au tuba
microtonal, un tuba qu'il a personnellement fait fabriquer par un luthier pour
continuer encore plus loin l'exploration sonique de ce cuivre) au label norvégien
Sofa. Aux côtés d'Hayward donc, deux autres tubistes que je n'avais encore
jamais entendu : Kristoffer Lo et Martin Taxt.
Microtub est en gros structuré en trois parties. La
première est une nappe faite de sons continus, attaqués toujours de la même
manière, et sur la même intensité. Une longue plage lisse et pachydermique où
le temps s'étire et les sons se frottent et vibrent, ou bien se mêlent en des
accords harmonieux. Durant dix minutes donc, les tensions se font dans des
espaces interstitiels et microtonaux, les vibrations provenant des frottements
physiques entre des sons qui ne peuvent ni ne veulent s'entremêler, des sons
qui voudraient peut-être s'accorder pour n'en faire qu'un seul, mais qui
n'arrivent qu'à se maintenir en se rejetant comme deux aimants.
Il reste alors encore vingt minutes de musique, vingt minutes
qui vont explorer le tuba en tant que tel, et non plus l'interaction entre les
cuivres. Toutes les possibilités et les potentialités sont ainsi découvertes
durant cette deuxième partie : des basses abyssales et inquiétantes aux
souffles et aux pistons, jusqu'au silence qui devient omniprésent comparé à son
absence patente durant la première partie. L'atmosphère paraît se détendre mais
est d'autant plus inquiétante qu'on ne sait jamais ce qui sortira de cet
instrument improbable et méconnu. Le trio semble pouvoir aller toujours plus
bas, dans des profondeurs insoupçonnées et inouïes, les basses sont toujours
plus abyssales, profondes et puissantes.
Les dix dernières minutes continuent de se déployer sur un
terrain silencieux et délicat, avec quelques basses et quelques souffles. Mais
surtout, ce sont les aigus qui apparaissent à ce moment, des aigus qui peinent
à sortir et paraissent instables car contre-natures, des notes qui rappellent
parfois le cor, des percées douloureuses et belles en même temps. Mais il ne
faut pas s'y tromper, même si la nappe s'est défaite, l'interaction a toujours
de l’importance et l'espace est géré par trois musiciens simultanément qui
savent également laisser agir le silence, il y a toujours cette superposition
de couches parfois harmoniques, parfois tendues par des micro-intervalles.
Microtub est une sorte de plongée en apnée dans des
abysses soniques insoupçonnés et inouïs. Une œuvre magistrale explorant les
potentialités du tuba, l'interaction entre ce cuivre et son frère microtonal,
mais aussi entre les instruments et le silence. Microtub explore un terrain encore inconnu, du moins très méconnu,
à savoir le timbre du tuba, mais également les phénomènes acoustiques
microtonaux ; une exploration très singulière donc, profonde et extrêmement
riche et dense. Recommandé !