JASON KAHN

JASON KAHN - Things fall apart (Herbal International, 2013)
Dans la plupart des travaux de Jason Kahn, on trouve ce dernier crédité à de nombreux instruments/outils. Son travail minimaliste de recherches de textures en lien avec l'espace de diffusion empêche souvent de reconnaître les sources. Sur ce dernier solo intitulé Things fall apart, Jason Kahn renoue avec tous ses instruments, ceux qu'il avait un peu délaissé (la batterie, les objets acoustiques), ceux qu'il utilise régulièrement (radio, table de mixage, ordinateur et micro contacts) ou encore ceux qu'il n'avait que très rarement utilisé (comme la voix). Et cette fois, ils sont tous clairement reconnaissables puisque Jason Kahn propose quatorze courtes pistes, où seul un élément ou un dispositif très léger est utilisé.

Les quatorze pièces sont très variées et disparates : on trouve aussi bien des recherches très abstraites à base de fréquences radios, ou d'amplifications saturées d'objets, que des pièces pour batterie qui renouent avec la pulsation et le rythme, ou encore pour les pièces vocales (très surprenantes et belles) un retour au lyrisme et à la mélodie. Néanmoins, quelque soit le mode de jeu utilisé, Jason Kahn joue surtout sur la diffusion du son dans l'espace et prend énormément de soin à choisir chaque son. Une grande attention est portée à la réalité physique du son, de l'espace dans lequel il est projeté, et à l'interaction de ces éléments. Toutes les pièces sont donc quand même reliées par cet intérêt minutieux pour le lien qui existe entre le son et l'architecture, aux phénomènes et aux mouvements acoustiques en général. Et c'est ce qui fait certainement tout le charme de la musique de JK, cette attention précise et méticuleuse au son, pris dans ses dimensions physiques d'un côté, mais aussi poétiques pour ce que chaque son évoque et pour les émotions qu'il suscite. 

Chaque pièce, même si elle est courte, est très soignée et réfléchie. Elle n'est pas beaucoup développée, mais on sent le travail qui s'est accompli derrière. Et c'est l'autre intérêt de ce disque je pense. Pour quiconque s'intéresse de près ou de loin au travail de JK, c'est passionnant de percevoir comment ont été travaillées chacunes des propositions soniques qu'il a pu faire. Car en séparant chaque élément, on perçoit d'autant mieux comment il a pu les utiliser et les intégrer dans des structures plus complexes auparavant. Et en utilisant une matière plus réduite, on perçoit aussi d'autant mieux comment il travaille le rapport du son au lieu d'enregistrement. 

Quatorze pièces très variées et passionnantes pour les amateurs de JK. Une session d'enregistrement éclairante et intéressante, qui nous révèle certaines méthodes et certaines facettes insoupçonnées de son travail. Mais même sans s'intéresser aux travaux précédents de JK, ces quatorze miniatures sont en elles-mêmes suffisamment riches et denses, précises et attentionnées dans leur rapport à l'espace, pour valoir le coup d'oreille.

JASON KAHN & RICHARD FRANCIS - sans titre (Monochrome Vision, 2009)
Le duo Jason Kahn & Richard Francis a été publié il y a maintenant quatre ans. Il s'agit d'une suite de quatre pièces enregistrées entre septembre 2007 et juin 2008 à Oakland, Zürich et Grenoble, sur lesquelles on retrouve le premier aux percussions et au synthétiseur analogique et le second à l'ordinateur et à l'électronique.

Un disque sans titre, composé de pièces sans titres non plus. Peu de place est laissée ici à l'imaginaire et aux références. Kahn et Francis construisent leur musique de manière épurée et abstraite - en lien toujours avec l'acoustique des lieux où ils jouent. Il s'agit de quatre pièces assez statiques, qui évoluent par micro-variations, par instabilités, et de manière progressive. Les quatre pièces sont linéaires et se construisent par superposition de deux couches sonores : un couche de percussions non-pulsées instables et fébriles, une couche de textures abrasives. Ce n'est pas joué fort, il n'y a pas de rupture, mais on est loin du drone et de l'ambient. Ce qui guide les progressions semble être le son lui-même, Kahn et Francis modifient légèrement les textures en fonction de la réverbération et de la projection du son. Les deux musciens se laissent guider par le lieu et par les textures simples mais denses de parasites acoustiques et électroniques, comme par les nappes numériques plus stables.

Un duo plutôt statique de musique électroacoustique abstraite et minimaliste, où les différents types de sources se confondent et importent peu, où les musiciens agissent en vertu du son lui-même et de l'espace de diffusion. Une musique impersonnelle où les musiciens se débarassent de leurs intentions pour mieux laisser vivre la réalité acoustique elle-même, épurée et froide, mais riche et efficace.

JASON KAHN & MARK TRAYLE - Fronts (Khalija, 2013)
Autre duo encore différent des deux albums chroniqués ci-dessus, Fronts est une collaborationde Jason Kahn et Mark Trayle que j'entends je pense pour la première fois ici ; collaboration  publiée en cassette. Enregistrées en live à Zürich et Genève, ces deux pièces sont beaucoup moins épurées que le dernier solo de Kahn ou sa collaboration avec Richard Francis. On le retrouve ici au synthétiseur analogique, aux fréquences radio et à la table de mixage - dispositif assez courant chez Jason Kahn - tandis que Mark Trayle est à la guitare et à l'électronique.

Le duo propose donc deux pièces qui durent entre 15 et 20 minutes, deux pièces vives et mouvementées, qui ont l'air d'être en grande partie improvisées. Elles ne sont pas spécialement fortes, ni très énergiques, mais il se passe toujours quelque chose de nouveau, tout en maintenant une forme de cohérence assurée par les longues fréquences radio et par la minutie de Kahn de manière générale. La musique est souvent tendue, brute, abstraite et composée de sons très physiques tels que les larsens ou le frottement des micro-contacts de la guitare. Ce n'est pas exceptionnel mais pour qui s'intéresse au noise brut, dur, et abstrait sans jouer sur l'intensité et des volumes très forts, pour qui s'intéresse au noise sous une forme plus proche de l'improvisation et de la musique électroacoustique, ça peut être intéressant, mais ça reste je trouve assez inégal dans l'ensemble : on navigue souvent entre de très bonnes trouvailles et des éléments lassants.