LUCIO CAPECE - Less is Less (Intonema, 2013) |
Ce qui est surprenant avec Capece, c'est cette oscillation permanente entre l'épuration la plus stricte des moyens, et la richesse du résultat. Sur la première pièce par exemple, Capece n'utilise en fait que des haut-parleurs, avec quelques sinusoïdes éparses et quelques interventions au saxophone. Il s'agit en fait d'une performance qui s'est déroulée dans la cathédrale de Berne, Capece était venu enregistré des sons de l'édifice la veille, à travers des tubes de cartons. Durant la performance, ces enregistrements étaient diffusés dans des haut-parleurs suspendus dans des ballons d'hélium. Les éléments sont donc plutôt simples, mais pour notre plus grand bonheur, le résultat est étonnamment riche. En fait, toute la pièce se joue sur la confusion entre les sons enregistrés et les sons contemporains de la performance. Les tubes de cartons sont restés, des micro-contacts continuent même de diffuser leurs résonances, résonances qui se mélangent à celles enregistrées et sélectionnées la veille. Le temps se dilate ainsi car la mémoire sonore de l'édifice pénètre la performance en cours ; et l'ambiguïté est d'autant plus forte pour les auditeurs du disque qui ne peuvent pas réellement distinguer/ressentir la différence, puisque l'enregistrement lui-même produit un nouveau niveau.
Et peut-être pour échapper aux aspects parfois froids et mécaniques de l'art sonore, à moins que ce ne soit juste pour rajouter un niveau supplémentaire (plus spontané et humain), Capece introduit à différents moments des sinusoïdes, pour accentuer des fréquences déjà présentes, ou seulement pour dialoguer avec l'instant - car il vient tout de même de l'improvisation. De plus, Lucio Capece se promène parfois parmi l'assistance, armé de son saxophone, et joue de longues notes tenues pas très différentes des sinusoïdes. Seulement, sa liberté de déplacement lui permet d'encore mieux éprouver l'effet Doppler des sons projetés durant cette performance. Car plus que de jouer avec le temps et la mémoire, c'est l'interaction avec l'espace, et la diffusion du son en passant par des dispositifs spécifiques qui intéressent Lucio Capece.
C'est ce qui ressort encore plus nettement de la deuxième pièce présentée, pour haut-parleurs en balancement. Trois haut-parleurs se balancent en jouant des sinusoïdes et un larsen, dans le studio de Capece cette fois. Quelques notes au synthétiseur analogique sont également rajoutées par moments. Un dispositif et un matériau très réduits qui mettent en avant l'influence du mouvement et de l'espace sur le son. Le balancement des haut-parleurs produit en effet des vagues de son similaires mais qui semblent jamais tout à fait identiques. Moins dense et moins riche, cette pièce plus radicale reste quand même belle et envoûtante de par son balancement monotone et la richesse harmonique des fréquences utilisées et des spectres qui en résultent.
Deux installations sonores différentes qui s'intéressent autant à la spatialisation du son, aux effets du mouvement sur le son, aux différents niveaux de temporalité, et de manière plus terre à terre, à la simple beauté d'un son pur et restreint. Très beau travail, à une réserve près concernant la première pièce. Elle est passionnante, très belle, mais comme dans le cas du duo de Jean-Luc Guionnet et Thomas Tilly, il semblerait que ce soit vraiment une pièce à éprouver en live, et j'ai l'impression qu'elle perd beaucoup au change durant une écoute chez soi, qu'on perd une grande partie de la performance à ne pas pouvoir éprouver en direct l'acoustique du lieu... Mais tout de même, un disque à écouter.