Klaus Filip & Dafne Vicente-Sandoval - Remoto

KLAUS FILIP & DAFNE VICENTE-SANDOVAL - Remoto (Potlatch, 2013)
En suivant l'historique du label français Potlatch, on remarque que de moins en moins de musiciens publiés qui proviennent du jazz. L'esthétique se trouve rafraîchie du coup, mais aussi l'instrumentation. Qui aurait imaginé il y a encore quelques années qu'on pourrait voir un basson dans ce catalogue (bois qu'on trouve très rarement à l'extérieur des orchestres), aux côtés de sinusoïdes qui plus est ? Remoto, déjà, c'est cette prouesse instrumentale, cette collaboration inédite entre Klaus Filip aux ondes sinusoïdales et Dafne Vicente-Sandoval au basson.

Le duo propose deux longues pièces, de trente et vingt minutes, la première enregistrée en studio et la seconde dans une église. Les changements d'attitude se remarquent peu, mais la différence de nature entre les deux lieux démarque clairement les pièces. Le changement minime d'attitude (des silences plus marqués en extérieur, des apparitions plus brêves ou plus urgentes) montre tout de suite l'attention particulière portée aux conditions de production de la musique : que ce soit dans un studio insonorisé ou dans une église ouverte à l'environnement sonore extérieur, le jeu musical s'en trouve bien modifié. Ce n'est pas évident de décrire la différence entre les deux pièces, mais à l'écoute, elle se fait vraiment bien ressentir ; et ce n'est pas que ce que l'environnement apporte de plus qui les différencie, c'est aussi l'attitude du duo qui change selon le lieu d'enregistrement - qui joue de manière moins linéaire et d'apparence plus accidentelle sur la pièce enregistrée dans l'église par exemple.

La différence est mince, car ce que propose le duo est très minimal et épuré. De longues sinusoïdes, très longues, qui apparaissent et disparaissent sans que l'on ne s'en rende compte. Klaus Filip produit des sine tones très douces, très calmes, des ondes qui ne bougent pas, qui ne se superposent pas, pures et simples (au sens où il y en a très peu en même temps et qu'elles ne sont jamais modulées) et qui ne font jamais violence à l'environnement sonore : au contraire, elles s'y intégrent et en sortent avec une subtilité déconcertante, à tel point qu'on se demande souvent si elles sont présentes ou non. Quant à Dafne Vicente-Sandoval, si c'est très attirant de la voir créditée au basson sur la pochette, elle pourrait jouer de n'importe quel instrument à vent, je ne suis pas sûr qu'on pourrait faire la différence la plupart du temps. Son jeu est aussi impersonnel et neutre que les sinusoïdes de Klaus Filip : quelques souffles, quelques clés frottées, des registres aigus extrêmes. Ses interventions s'insèrent également avec beaucoup de finesse et de subtilité, on ne sait pas toujours si elle est présente, si on la confond avec Klaus Filip, ou si elle est absente.

Je ne sais pas si le duo a écrit ces pièces ou les a improvisé ; intuitivement j'ai plutôt l'impression que c'est improvisé car c'est difficile de percevoir une structure. La forme est excessivement floue car le contenu est très linéaire et minimal. Des apparitions fantomatiques, des notes tenues qui ressemblent plus à des ombres qu'autre chose. Klaus Filip & Dafne Vicente-Sandoval proposent une musique aussi neutre que discrète et subtile, un musique d'une douceur telle qu'elle ne fait pas violence à l'environnement, et peut s'intégrer à n'importe quelle situation. Une simplicité précise, extrêmement talentueuse et virtuose, réduite à la beauté la plus primaire : de la pure musique minimaliste en accord total et poétique avec l'environnement.