THE AMES ROOM - In St Johann (Gaffer, 2013) |
Par rapport aux précédents, In St Johann est peut-être moins obstiné et moins répétitif. Des répétitions il y en a encore, mais les motifs sont plus courts, ils sont rapidement modifiés, chacun passe plus vite à autre chose. Le trio conserve l'utilisation obstinée de motifs, mais là c'est plus urgent, plus sauvage. Et pourtant, sauvage et urgent, The Ames Room l'a toujours été avec l'alto ultra sec et incisif de Guionnet, l'intensité inépuisable de Will Guthrie, et la basse lourde et entêtante de Clayton Thomas. Sauf qu'ici, à rapidement modifier les patterns, l'urgence est encore plus flagrante.
Le plus impressionnant avec ce trio, c'est que même dans les périodes de "creux" (lors du duo basse/batterie de quelques dizaines de secondes au début de la deuxième face par exemple), l'intensité est toujours culminante. The Ames Room, c'est l'art de la puissance répétée et inlassable, l'art d'une musique qui se ressemble mais ne se fatigue jamais, un climax continu et une volonté de se donner corps et âme dans le trio, c'est lourd, urgent, et puissant. Le trio ressemble à du free jazz de par l'instrumentation, mais là où le free jazz tendait vers une certaine urgence et une certaine puissance, The Ames Room n'y va pas, il n'y a pas de progression, The Ames Room est en plein dedans et n'a pas besoin de tracer le chemin. The Ames Room reste au point culminant et n'en bougepas, le trio est là où l'intensité est la plus forte, là où la puissance est maximale et inépuisable. Excellent et addictif.
Autre trio avec le contrebassiste Clayton Thomas, Strike est une formation australienne menée par le violoniste Jon Rose, avec un second contrebassiste : Mike Majkowski (auteur d'un excellent solo paru il y a un ou deux ans). Wood, Wire & Sparks est le premier enregistrement de cette formation, publié en vinyle encore par le label monotype.
Si l'instrumentation est plutôt originale (deux contrebasses et un violon), et les musiciens chacun aussi virtuose l'un que l'autre, les six improvisations proposées sur ce disque ne m'ont pas plus enchanté que ça. Strike propose de l'improvisation libre à tendance assez réactive et énergique, qui explore les différentes dynamiques et possibilités des cordes (pizzicatto, archet, jeu rythmique, contrebasse frappée, préparations sur les instruments, jeu mélodique, longues harmoniques, etc.). C'est impressionnant de virtuosité et le trio sait explorer chaque instrument à fond, mais j'ai l'impression qu'ils en font souvent trop. Hormis peut-être sur la dernière pièce qui offre un peu de répit, de silence, d'espace, et d'air, et même des bribes fantomatiques de mélodie - chaque improvisation joue sur l'interaction entre les trois musiciens, sur la distinction prononcée des voix, et on est vite saturé d'informations, d'autant que la plupart du temps, le trio joue avec puissance et énergie et forme une musique joyeusement chaotique faite de surprises constantes. Une musique qui pourra plaire aux amateurs d'improvisation libre très énergique et réactive, violente et virtuose ; il faut aimer les démonstrations de force en somme - et le violon aussi (dont l'usage en improvisation libre n'est pas si évident...).
Dernier projet autour du contrebassiste australien résidant aujourd'hui à Berlin, The Astronomical Unit est un trio qui regroupe trois membres actifs de l'improvisation libre européenne : Clayton Thomas toujours, à la contrebasse, Matthias Müller au trombone, et Christian Marien à la batterie.
STRIKE - Wood, Wire & Sparks (Monotype, 2013) |
Si l'instrumentation est plutôt originale (deux contrebasses et un violon), et les musiciens chacun aussi virtuose l'un que l'autre, les six improvisations proposées sur ce disque ne m'ont pas plus enchanté que ça. Strike propose de l'improvisation libre à tendance assez réactive et énergique, qui explore les différentes dynamiques et possibilités des cordes (pizzicatto, archet, jeu rythmique, contrebasse frappée, préparations sur les instruments, jeu mélodique, longues harmoniques, etc.). C'est impressionnant de virtuosité et le trio sait explorer chaque instrument à fond, mais j'ai l'impression qu'ils en font souvent trop. Hormis peut-être sur la dernière pièce qui offre un peu de répit, de silence, d'espace, et d'air, et même des bribes fantomatiques de mélodie - chaque improvisation joue sur l'interaction entre les trois musiciens, sur la distinction prononcée des voix, et on est vite saturé d'informations, d'autant que la plupart du temps, le trio joue avec puissance et énergie et forme une musique joyeusement chaotique faite de surprises constantes. Une musique qui pourra plaire aux amateurs d'improvisation libre très énergique et réactive, violente et virtuose ; il faut aimer les démonstrations de force en somme - et le violon aussi (dont l'usage en improvisation libre n'est pas si évident...).
THE ASTRONOMICAL UNIT - Super Earth (Gligg, 2013) |
Cette fois, c'est un CD, un disque qui comprend deux longues pistes d'une vingtaine et d'une trentaine de minutes. Les deux improvisations sont composées de manière similaires. On part de quelque chose d'assez abstrait, avec une pulsation sous-jacente à la batterie, des notes très longues à la contrebasse et des interventions discrètes du trombone. Et petit à petit, le groupe prend forme, le dialogue s'établit, la structure et la cohésion apparaissent de plus en plus clairement. Si chaque début ne propose que peu de repères musicaux traditionnels et s'apparente à de l'improvisation libre pas très éloignée du réductionnisme, au fur et à mesure, ça devient de plus en plus énergique, la pulsation est de plus en plus marquée et présente, soutenue par la contrebasse, avec un trombone qui n'est pas loin de swinguer. Et on arrive très vite à quelque chose de lourd, de gras, comme un bon morceau de post-hardcore ou de hip-hop, mais fait par un trio basse/batterie/trombone. The Astronomical Unit propose de la musique improvisée, mais sans exclure des rythmiques et des patterns puissants, dansants, et jouissifs. De l'impro libre toujours, mais aussi joyeuse et dansante, chaude et dynamique, pulsée et aguichante. Bon travail, je suis curieux d'entendre la suite de ce trio en tout cas.
Je profite de ces chroniques consacrées à Clayton Thomas pour rapidement parler du dernier hors-série du son du grisli. Le site est connu pour ses nombreuses chroniques quotidiennes à propos de musiques improvisées et expérimentales, écrites par Guillaume Belhomme, Guillaume Tarche, Pierre Cécile, Luc Bouquet, et d'autres. De temps en temps, et aujourd'hui pour la onzième fois apparemment, le site publie une version papier intitulée hors-série. Chaque hors-série est consacré à un instrument, et c'est aujourd'hui au tour des contrebassistes d'être à l'honneur. J'en parle ici, car aux côtés de Barre Philips, Joëlle Léandre, William Parker, Peter Kowald, Barry Guy et Werner Dafeldecker, on retrouve le jeune Clayton Thomas encore.
La revue propose une suite de portraits de chacun des musiciens, des portraits dithyrambiques, plus ou moins axés selon les écrivains sur la biographie des musiciens, sur leur collaboration, sur des caractéristiques ésthétiques ou des particularités historiques. Outre ces courts protraits, plusieurs chroniques de disques sélectionnées sur le site du son du grisli sont proposées à la suite de chaque présentation, des chroniques qui reflètent l'importance des musiciens aussi bien que l'enthousiasme des chroniqueurs. La sélection des contrebassistes est intéressante car elle présente un large éventail des possibilités esthétiques présentées par les musiciens : on passe des musiciens historiques tel que Barre Philips au jeune virtuose acclamé qu'est Clayton Thomas, on passe de ceux qui ont fait leurs armes dans le free jazz et le jazz à ceux qui ont été plus proches de la musique contemporaine, et les passerelles entre chacun de ces mondes sont bien mises en avant. Intéressant.