WOZZECK - Act 5 (Intonema, 2013) |
Ce cinquième acte est un projet monumental composé de cinq pièces de quarante minutes chacune. Le saxophoniste et compositeur de ces pièces, Ilia Belorukov, nous dit dans les notes qu'il s'intéresse depuis quelques temps aux nouveaux compositeurs et improvisateurs tels que Radu Malfatti et Lucio Capece. Je le précise car si chacune des pièces est proche d'idiomes populaires (techno, post-rock, hardcore, grindcore), elles s'intéressent tout de même toutes à la dilatation du temps, aux micro-variations et à la répétition - paramètres récurrents des musiques réductionnistes et minimalistes contemporaines. Une seule idée - souvent rythmique - préside chacune des pièces, et est exploitée durant les quarante minutes de chacune. Ainsi la première partie est une sorte de morceau techno-trance minimal, la seconde, un long morceau de hardcore monotone, la troisième une succession obsédante de silences et de pièces à tendance grind d'envron trente secondes à la Zorn, la quatrième un long morceau très lent genre post-jazz à la Bohren & Der Club Of Gore, et la dernière propose une succesion de plages ambient et de plages disco-funk décalées à la Mr. Bungle.
Un projet très convaincant qui m'a vraiment réjoui pour deux raisons. Déjà, ça fait un bien fou de voir des musiciens qui se réclament de l'avant-garde et des musiques expérimentales renouer avec des genres plus courants, populaires et accessibles - maintenant on sait comment tenter d'initier un fan de Converge ou de Marc Hurtado à Wandelweiser ou Sachiko M. De fait, les parties techno, hardcore et post-jazz sont vraiment mortelles avec leurs idées obsédantes et monotones, avec leurs micro-variations et leur temps complètement dilaté - comme si Morton Feldman s'était initié au grindcore... Et c'est la deuxième raison qui m'a autant plu. Wozzeck explore des terrains similaires à beaucoup de musiciens expérimentaux (répétitions, intérêt pour la dilatation du temps, et variations à peine perceptibles), il les explore avec autant de pertinence et de richesse que beaucoup d'autres, mais en proposant une musique quand même beaucoup plus accessible. Voici le genre de disque qui peut plaire à de nombreuses personnes qui ne sont pas liées aux recherches post-minimalisme, aux nouvelles formes de musique improvisée et électroacoustique, tout en se posant les mêmes questions que ces dernières.
A de nombreuses reprises, Cage, dont de plus en plus de personnes se disent affiliées, a affirmé vouloir intégrer le bruit à la musique, qu'il n'y avait pas de séparation entre les deux. Il faut tout de même savoir qu'il n'était pas du tout à l'aise avec l'harmonie aussi. Et c'est aussi pour cette raison qu'il la à plusieurs reprises abandonné. Ce qui ne veut pas dire qu'il la rejetait, et en ce sens Wozzeck est aussi un projet digne de Cage. Car avec les propositions de Belorukov, Wozzeck parvient à assimiler le temps quotidien au temps musical, ce qui était aussi un des buts de Cage. Et je ne crois pas que les références musicales de ce nouveau projet soient inconciliables avec la volonté du compositeur américain, je crois même que ce projet accompli certaines de ses volontés avec beaucoup de pertinence.