Ensemble Hodos plays Philip Corner - Lifework: A unity 2

ENSEMBLE HODOS plays PHILIP CORNER - Lifework: A unity. 2 The World (Umlaut, 2014)
L'ensemble Hodos est formé de jeunes musiciens intéressés par les musiques expérimentales et improvisées, mais aussi par l'interaction entre l'écriture et l'improvisation. Il est dirigé par Pierre-Antoine Badaroux (saxophone alto) et Sébastien Beliah (contrebasse) et comprend (sur ce disque en tout cas) Félicie Bazelaire (violoncelle), Fidel Fourneyron (trombone), Antonin Gerbal (percussions), Hannes Lingens (percussions), Roméo Monteiro (percussions), Eve Risser (piano), Brice Pichard (trompette) et Joris Rühl (clarinette). Depuis quelques années, ils jouent la musique de Philip Corner, en divisant l'intégralité de son travail en cinq parties. 2. The World (Graphic Innovations & Indeterminacy) 1960-1975 est le premier volet de cette intégrale de Philip Corner (les quatre autres devraient être publiés dans l'année), consacré à la deuxième partie de son oeuvre, celles écrites après son retour du service militaire et de la guerre de Corée dans les années 50.

Le disque s'ouvre et se conlut avec deux pièces assez similaires et toutes deux écrites en 1963 : Crash Actions et In Intimacy - pulsation. Il s'agit de deux oeuvres d'une dizaine de minutes similaires à des "pulsations polyphoniques". La première est jouée plutôt forte avec beaucoup de bruit, la seconde est jouée à un volume plutôt moyen. Plus le son est faible, plus la résonance est laissée ; mais ce qui est intéressant ici surtout, c'est comment le groupe est subdivisé en plusieurs sous-groupes qui jouent chacun sur une pulsation différente. Tous les instruments, mélodiques ou non, jouent avec des attaques franches, tout est percussif et tout est fait de manière à ne pouvoir écouter que l'interaction entre les différentes pulsations. Philip Corner revient ici à l'aire de la polyphonie avec un matériau musical très réduit, la simple pulsation. Une sorte de polyphonie réductionniste où la musique n'est plus qu'une pulsation qui se suffit largement à elle-même : excellent. L'autre pièce que j'aime beaucoup est la troisième : Compare with "Exquisitely Sloppy OM" écrite dans les années 70. Philip Corner revient ici à la syllabe fondamentale et demande à chaque musicien de ne jouer qu'une note. Il compose donc une sorte de drone profond, très riche, avec beaucoup de mouvement (les notes s'écartent ou se rapprochent de plus en plus selon les mouvements). Une composition et une réalisation lumineuses, profondes, denses, et vivantes. Quant à Punkt, il s'agit chronologiquement de la première pièce de ce volet puisque elle a été composée en 1961. Il s'agit d'une pièce littéralement pointilliste qui part d'une partition graphique basée sur les points. C'est la pièce dans laquelle j'ai le moins réussi à m'immerger, ça ressemble à une sorte de musique post-sérielle, très axée sur le rythme et la polyrythmie, avec des interventions très brêves, qui varient dans l'attaque, le volume et le timbre, ainsi que dans de légères variations de durée (même si les notes ressemblent effectivement toutes à des points).

En résumé, ce disque vaut vraiment le détour. D'une part parce que Philip Corner est un compositeur méconnu et souvent sous-estimé (même s'il revient quelque peu sur le devant de la scène ces dernières années), et que par conséquent on a raremnt l'occasion d'entendre son travail pourtant très riche et varié. D'autre part, il est joué ici par d'excellents musiciens, tous aussi proches de l'improvisation que de la musique écrite, et donc parfaitement aptes à jouer des partitions qui laissent une grande marge de maneuvre à la volonté des interprètes et à l'indétermination. La musique est ici jouée avec précision, intelligence, beauté et personnalité. Excellente initiative en tout cas.