Jason Kahn & Tim Olive - Two Sunrise

JASON KAHN & TIM OLIVE - Two Sunrise (845 audio, 2014)
(Jason Kahn est à Nantes ces jours-ci et j'ai eu l'occasion de voir pour la première une performance vocale de ce musicien. Une sorte de long pleur de trente minutes, une complainte "primitive" (comme il dit) et viscérale, comme une longue lamentation d'un homme qui découvre les possibilités du chant. Une performance entre le chant, la prière, le pleur, et le bruit qui ne ressemble à aucune forme de chant que j'ai pu entendre jusqu'alors. Il jouera également un solo de batterie acoustique durant le week-end, et une partition graphique pour percussions sera également jouée par un ensemble nantais à apo33. Tout ça pour dire que Jason Kahn est vraiment un artiste à multiple facettes, qui a su au fil des années bien séparer les différentes disciplines qu'il pratique tout en les intégrant les unes aux autres. Un artiste qui départage très bien les instruments, l'électronique, la voix, la composition, l'improvisation, qui les utilise chacun d'une manière particulière et les articule en autant d'approches esthétiques et pratiques possibles.)

Two Sunrise documente la première collaboration entre Tim Olive (musicien canadien installé aujourd'hui au Japon) et Jason Kahn (artiste américain installé en Suisse), lors d'une tournée japonaise, qui nous montre donc surtout la facette de Jason Kahn en tant qu'improvisateur à l'électronique. Un duo purement électronique, harsh et abrasif mais espacé et aéré tout de même. Tim Olive se sert ici d'une sorte de guitare préparée à une corde en utilisant surtout les pick-ups tandis que Jason Kahn est crédité à l'électronique (table de mixage, pédales et synthé analogique je pense).

La musique proposée par ce duo fait partie de ces nouvelles formes d'improvisation électroacoustique dont on ne sait pas vraiment s'il faut les qualifier de purement abstraites ou de vraiment concrètes. D'un côté, c'est du bruit pur, des parasites électriques et électroniques, des vibrations matérielles transformées en électricité puis en son, des larsens, etc. Mais d'un autre côté, c'est de l'électronique très organique au sens où les musiciens agissent avec leur corps plus qu'avec des potards pour produire le son. La musique de ce duo laisse ressentir l'action corporelle des musiciens comme s'ils utilisaient un instrument. Car les deux musiciens semblent utiliser de nombreuses sources concrètes et matérielles (pas seulement électroniques je veux dire). Des objets métalliques, des sortes de percussions, ce qui reste de la guitare, tout ce qui peut tomber sous la main est transformé en électricité et forme une source sonore potentielle et réelle. La matière sonore composée par le duo est vraiment puissante car très organique, elle forme un superbe mélange d'abstraction pure et d'action concrète sur le matériau.

Quant à la forme, il ne s'agit ni plus ni moins que d'une sorte d'improvisation libre électroacoustique. De nombreuses ruptures avec des blocs ultra denses qui succèdent à des sortes de plages plus contemplatives. Le duo est dans le son avant tout, il plonge dans la matière sonore de manière apparemment très spontanée et instantanée et réfléchit dans l'action à la forme que prend la matière sonore. En tout cas, j'aime beaucoup le subtil mélange d'actions physiques et d'abstraction parasitaire, l'équilibre entre l'utilisation organique d'objets concrets et l'utilisation plus froide mais tout aussi réfléchie de parasites électroniques plus statiques. Une rencontre intense, originale, dure, abrasive et recherchée.