JASON LESCALLEET [cassettes]

JASON LESCALLEET - Archaic Architecture (NNA, 2013)
On est de plus en plus à vouer un véritable culte à Jason Lescalleet dorénavant - preuve en est ses tournées multitples en Amérique et en Europe. Je ne crois pas qu'il y ait donc besoin de le présenter, chacun connait au moins de loin ses travaux et a du au moins en entendre parler en tant que maître des manipulations de bandes et de cassettes. Pour moi, il fait partie des artistes les plus intéressants de ces dix dernières années, sans aucun doute, et j'arrive à être toujours surpris par chacune de ses sorties. J'avoue que je suis d'autant plus enthousiaste quand il s'agit de cassettes, format qui correspond parfaitement à Lescalleet (même si mes préférés sont des cds, notamment ceux publiés sur erstwhile...).

En tout cas voilà, l'année dernière, le label américain NNA Tapes proposait encore une cassette complètement inattedue et surpenante de Jason Lescalleet, intitulée Archaic Architecture. Ici, Lescalleet utilise principalement (uniquement?) des enregistrements d'orgue et un petit synthétiseur. La première face est proche de l'ambient, une sorte de drone où la diffusion des enregistrements d'orgue est ralentie, une diffusion qui s'entremêle indistinctement avec les nappes de synthé. Il s'agit d'une face très étrange, linéaire, monotone, nostalgique et très granuleuse. On reconnait l'orgue, mais la vitesse altère le grain et la texture en devient unique. Sur la deuxième face, Lescalleet conserve le même procédé mais en utilisant un enregistrement plus mélodique. Cette face est encore plus étrange et décalée, et encore plus à mon goût du coup. Il y encore la mélodie présente, avec les accords qui la soutiennent, mais l'altération de l'enregistrement et la modification conséquente du grain rendent l'écoute complètement décalée. On suspecte quelque chose, on recherche de l'ironie, de l'humour, de la parodie, et en même temps, l'ambiance n'est pas à la rigolade avec cet orgue d'église plutôt solennel.

Avec un procédé simple, Jason Lescalleet parvient à considérablement modifier l'écoute et à bien modifier la direction de l'attention. On ne se concentre plus que sur le grain même de l'orgue, sur le grain également du support (la bande) et sur l'atmosphère propre à cette couleur grisâtre, acceuillante, envoûtante et granuleuse. Un travail simple et subtil de la bande, dont le rendu est surprenant par sa richesse. Encore une fois, Lescalleet se révèle être un des manipulateurs de bande les plus créatifs et ingénieux que j'ai entendu.

AARON DILLOWAY/JASON LESCALLEET - Building A Nest (Hanson, 2013)
Après leur excellente et cauchemardesque collaboration publiée sur PAN, le duo Aaron Dilloway/Jason Lescalleet propose une nouvelle aventure sonore publiée en cassette sur le label de l'ex-membre de Wolf Eyes. Le duo continue d'explorer le potentiel des bandes bouclées, tout en ajoutant du synthétiseur ici. La première face est assez abstraite et propose une boucle proche de l'ambient, une sorte de basse mise en boucle, sur laquelle s'ajoutent des enveloppes de synthé très science-fiction, des enveloppes non harmoniques et aléatoires, cheap mais efficaces. Petit à petit la boucle prend forme et consistance jusqu'à devenir une rythmique de power-electronics un peu lo-fi, un peu barré, plus cheap et moins agressive, une rythmique genre du Carpenter qui a bien vieilli puisque Dilloway et Lescalleet prennent un malin plaisir à toujours utiliser la dégradation des signaux et des matériaux. A ce propos, la deuxième face est encore plus claire. Tout commence avec le même synthé version science-fiction, avec une enveloppe aléatoire et un filtrage dégueulasse accentuée par le filtre des bandes (à travers lesquelles le synthé est manipulé). Malgré un souffle et quelques éléments fortement en retrait (comme la fameuse rythmique de la première face), le signal est plutôt clair au début, mais petit à petit, la saturation fait son chemin. Je ne pense pas qu'il y ait beaucoup d'effets (quand même beaucoup de reverb), je crois surtout que Dilloway et Lescalleet se sont amusés à réinjecter le signal dans les bandes ou une console de mixage jusqu'à la saturation. Le duo transforme très progressivement, simplement, et surtout précisément un signal de base avec un procédé de feedback archaïque. De bande originale d'un mauvais film de SF, le son se rapproche de plus en plus d'un film qui se dégrade et dont l'intérêt réside dans cette dégradation. Les couleurs prennent forme, le grain apparaît et gagne en consistance, et la tension est de plus en plus palpable au fur et à mesure que le son gagne en saturation.

Encore une fois, un excellent travail de dégradation et de désintégration progressive d'un signal sonore analogique. Recommandé.