ERIC LA CASA & CEDRIC PEYRONNET - Zones Portuaires (Herbal International, 2013) |
A plusieurs reprises, j'ai chroniqué sur ce site des mini-disques publiés par Peyronnet, des compositions d'une multitudes de musiciens à partir de matériaux enregistrés par Peyronnet, publiées (si ma mémoire est bonne) au rythme d'un disque/proposition par trimestre environ. Cette intiative éditoriale met en avant une ambition artistique forte : pour Peyronnet, comme pour la plupart des acteurs du field-recordings, la pratique de l'enregistrement d'éléments concrets est une pratique musicale et esthétique avant tout. Quelque soit le matériel sonore utilisé (je parle en tout cas du "sujet" des field-recordings), de la musique peut en surgir - et ce n'est pas le sujet de l'enregistrement qui détermine réellement la composition.
Avec ces Zones Portuaires, ce principe est encore une fois mis en évidence. Eric La Casa et Cédric Peyronnet ont collaboré à l'enregistrement de sons extraits des ports du Havre et de Liège, puis ils ont chacun composé des pièces bien distinctes. Les ambiances sont différentes, les procédés d'écriture aussi, même si les sons se correspondent. Sur chacun des disques, on entend des sirènes, des avertisseurs de camion, quelques mouettes, beaucoup de travaux, mais peu importe. Chaque enregistrement est considéré par La Casa comme par Peyronnet pour sa valeur en terme de fréquence, d'amplitude, pour son caractère sonore, pour sa durée, etc. Peu importe le sujet - même si les zones portuaires ont leurs caractéristiques sonores propres - il ne s'agit pas d'un documentaire. Le choix des lieux semble être effectué comme si un compositeur choisissait entre telle ou telle formation, tel ou tel orchestre ou instrument, voire comme s'il choisissait entre telle ou telle tonalité.
A partir de ces matériaux - déjà exemplaires pour la qualité des prises de son - La Casa et Peyronnet montent et assemblent plusieurs pièces où chacun travaille à sa manière le montage à partir des ruptures et des fractures de dynamiques, à partir de continuums sonores progressifs, à partir d'une multitude de couleurs et de textures sonores ; bref ils composent de véritables symphonies concrètes, très riches et profondes en tant que matériaux, mais surtout agencées et composées de manière très attentive, sensible, et intelligente. Car si les enregistrements nous surprennent et nous émerveillent, ce n'est pas que pour leur qualité, c'est surtout par le talent avec lequel ils ont été montés et arrangés. Le field-recording est de la musique, une pratique musicale complexe et dure, les "recorders" sont des musiciens, bien plus que des techniciens, et actuellement, Eric La Casa comme Cédric Peyronnet sont certainement les plus pertinents et les plus créatifs de ces musiciens, les plus à même de (dé)montrer les qualités musicales et esthétiques du field-recording.