RICHARD GLOVER - Logical Harmonies (Another Timbre, 2013) |
Les Logical Harmonies qui ouvrent et concluent le disque sont deux courtes pièces pour piano réalisées par Philip Thomas. Sur un tempo assez lent (à 60 environ) et statique, le pianiste plaque des accords (deux tierces majeures) au même rythme, sur un ambitus réduit à deux octaves. Les accords évoluent de quarte en quarte (do, fa, si bémol, mi bémol, etc), et sont joués avec la même dynamique, le même touché, etc (pédale "sensible et consistante"). Une pièce basée sur une progression harmonique originale mais simple et réduite en somme, une pièce extérieure à toute forme de virtuosité sans aucun doute. Ce qui est étonnant, c'est que chaque accord révèle une nouvelle facette sonore : que ce soit le timbre ou le caractère, chaque paramètre est modifié en toute simplicité. Si le procédé d'écriture et la réalisation de cette pièce sont très mécaniques et statiques, le résultat brille de mouvements et d'évolutions inattendues, on passe d'une expérience sonore à une autre à presque chaque changement d'accord.
Puis on retrouve le pianiste Philip Thomas aux côtés de Seth Woods (violoncelle) et Jonathan Sage (clarinette) pour une pièce sobrement intitulée "Cello with clarinet and piano" (initialement composée pour un violon). Une très belle pièce microtonale où piano et violoncelle jouent une note tandis que la clarinette fait un glissando autour de cette note, avant que le violoncelle ne redescende doucement. Il s'agit encore d'une pièce assez courte, elle n'est composée que de quelques évènements microtonaux séparés par des silences. Tout se joue dans le glissando, dans la persistance de la note au piano, puis dans la lente fuite et le doux grincement des clarinette et violoncelle. L'Ensemble Portmantô (Mark Bradley à la clarinette, Mira Benjamin au violon et Andrea Stewart au violoncelle) propose également la réalisation d'une pièce à tendance microtonale, intitulée "Beatings in a linear process". Les deux cordes jouent une note chacune qu'ils tiennent durant toute la performance, puis introduisent une note autour de laquelle la clarinette va jouer des variations microtonales. Ici encore, le procédé d'écriture se concentre sur la permanence des notes, et l'apparition de variations microtonales qui vont venir enrichir les notes, les masquer, les couvrir, les mettre en avant, ou simplement les faire vibrer en fonction de leur hauteur. "Gradual Music", interprétée par le musikFabrik (Marco Blaauw, Christine Chapman, Bruce Collings, Ulrich Löffler, Axel Porath, Hannah Weirich et Dirk Wietheger), est une partition que je n'ai pas vu. Le procédé d'écriture semble être encore une fois proche puisqu'on entend les cordes se maintenir sur certaines notes, puis opérer de légers glissandis et de subtiles variations microtonales, tout comme les vents par ailleurs. Sauf qu'ici, la formation instrumentale est encore plus dense, avec un piano, trois cordes frottées et trois cuivres et le son prend une ampleur magnifique. L'ambiance est proche de Phill Niblock ou d'Eliane Radigue, mais le son est aussi pourvu d'une sorte d'instabilité et de fragilité sublimes. Ces trois pièces jouent chacune en tout cas sur une approche microtonale de l'harmonie et révèlent chacune à leur manière des univers soniques et perceptifs uniques et beaux.
Et pour finir, deux solos. Le premier est une pièce réalisée par Bob Gilmore au clavier numérique, intitulée "Contracting triads in temperaments from 12-24". Proche des "Logical Harmonies 1 & 2", je me serais bien passé de cette pièce où les tierces se succèdent sans consistance. Puis vient le tour de Dominic Lash (contrebasse) qui réalise superbement "Imperfect harmony". C'est devenu une marque de fabrique sur another timbre, quand Lash réalise des compositions en solo, elles sont magistrales (je suis encore bien marqué par la pièce d'Eva-Maria Houben qu'il a publié il y a un peu plus d'un an). Ici, le procédé est encore microtonal même si la pièce ressemble aux "Logical Harmonies". Dominic Lash joue une suite de diades avec une corde ouverte et de même durée, sur un tempo lent qui ne bouge pas, avec des pauses égales entre chaque cellules. Le principe est de laisser une des deux notes glisser vers une autre note, de manière sensible et subtile, avec un glissando. On retrouve l'harmonie persistante et la variation microtonale, le procédé se révèle toujours aussi riche, mais c'est surtout la réalisation qui est impressionnante ici. Le son de Dominic Lash est extrêmement large, ample, dense et profond (on croirait entendre un orchestre!), sa réalisation est complètement envoutante et très riche soniquement, en plus d'être très sensible et poétique. Une pure beauté.
Bref, pour une première approche de Richard Glover, je suis comblé. Ce jeune compositeur anglais mène des investigations dans les domaines instrumentaux, harmoniques et microtonaux avec simplicité mais force. Chaque idée et chaque procédé d'écriture sont simples, mais parfaitement adéquats à l'expérience sonore recherchée, ce qui fait toute leur force. Les univers sonores investis par Glover se révèlent dès lors riches, créatifs, et beaux. Vivement conseillé.