DIE HOCHSTAPLER - The Braxtornette Project (Umlaut, 2013) |
Je disais que le nom est modeste car le quartet présente son travail non comme une forme d'interprétation ou de réalisation des compositions de Braxton et d'Ornette, mais comme un vol de leurs oeuvres. Die Hochspatler ne joue pas à la manière de Braxton ou d'Ornette, ils n'essayent pas de leur ressember, ils se réapproprient leurs pièces comme un matériau de base pour leur improvisation, mais c'est tout à leur honneur je pense. Et j'imagine que c'est aussi le souhait de Braxton et de Coleman qui seraient plus furieux qu'autre chose d'entendre des musiciens tenter de les imiter ou de les copier.
Quoiqu'il en soit, ce double disque propose une suite en quatre parties. Sur les deux premières, on retrouve surtout des compositions des années 70 (celles parues chez hathut pour Braxton), qui se succèdent par intermittence. Le quartet joue une pièce de Braxton, puis une d'Ornette, en accordant bien sûr une large part aux improvisations entre chacune. Des improvisations solo, avec accompagnement rythmique souvent, ou des improvisations collectives. Mais dans tous les cas, le quartet ne joue pas sur l'exploration sonique, mais sur le swing, sur l'harmonie, sur le phrasé, sur l'énergie surtout, sur la rapidité et la virtuosité, et sur la joie de jouer cette musique, sur l'amour qu'ils semblent lui porter.
Avec le second disque, le quartet commence à mélanger les compositions, à mélanger l'écriture, les thèmes et les improvisations pour arriver à quelque chose de plus abstrait peut-être, mais toujours joué de la même manière. Seule la structure devient plus abstraite, plus complexe, mais les musiciens continuent de jouer avec la même joie, le même humour, avec une énergie inépuisable et un talent remarquable. "Malgré" la complexité des structures et leur enchevêtrement, les musiciens continuent de jouer sur le lyrisme, sur la mélodie, de jouer avec simplicité et spontanéité, et c'est ce mélange entre des structures abstraites et une réalisation très organique, très concrète (faite de phrasés qui swinguent, d'accents rythmiques toujours bien placés et d'attaques puissantes) qui fait de la musique de Die Hochspatler une musique unique et personnelle, très loin de l'imposture.
Pour finir, en hommage au Free Jazz d'Ornette, Die Hochspatler nous réserve une très belle surprise en invitant les quatre membres de Peeping Tom à se joindre à eux pour former un double quartet augmenté pour ces vingt dernières minutes de Pierre-Antoine Badaroux au saxophone alto, Axel Dörner à la trompette, Joel Grip à la contrebasse et Antonin Gerbal à la batterie. Etonnamment, il y a beaucoup moins d'improvisations collectives que je ne l'aurais imaginé, le double quartet ne joue pourtant que trois compositions sur cette pièce, mais il les joue en accordant une grande place aux improvisations solistes, accompagnées ou non. Et pour ceux qui connaissent Peeping Tom, excellent quartet qui s'est spécialisé dans une forme free du bop, ils ne seront pas surpris de se retrouver face à des improvisations qui swinguent toujours autant, qui sont toujours réalisées avec une rapidité et une dextérité hallucinantes. Le double quartet joue ici un mélange de Free Jazz et de la composition 348 de Braxton avec toujours autant d'énergie, de talent, d'émotion, de sensibilité, d'honnêteté et de puissance.
Un disque dansant, intense, qui ne s'arrête jamais, qui swingue, mais qui est libre, honnête, et original. Un très bel hommage à Braxton et Ornette, l'hommage idéal pour des compositions free jazz, un hommage libre, singulier et respectueux de l'oeuvre de chacun. Excellent projet, vivement conseillé.