Un bon label, c'est généralement un qui sait choisir de ce qui doit être publié ou non, ce qui vaut le coup, qui choisit le disque qu'on aura toujours envie d'écouter plusieurs années plus tard, et pas seulement le dernier truc à la mode. Mais c'est aussi celui qui décide de provoquer des rencontres, qui favorise des collaborations inédites tout en sachant qu'elles seront passionnantes. Et pour le dire clairement, erstwhile, c'est les deux à la fois : un label qui favorise les dernières expérimentations et qui commande des rencontres inédites, un label qui est une aide majeure pour les musiques nouvelles et aventureuses depuis des années.
Et My trust in you, c'est encore ça, une rencontre inédite entre deux musiciens créatifs et aventureux. Marc Baron et Lucio Capece présentent d'ailleurs un parcours assez similaire même si leur musique n'a jamais été très proche. Tous les deux étaient saxophonistes dans les années 2000 et participaient activement aux musiques improvisées et réductionnistes en France pour le premier (au sein de Narthex ou du quartet de saxophones Propagations),et en Allemagne pour le second (aux côtés de Burkhard Beins, de Rhodri Davies et d'Axel Dörner entre autres). Puis au courant des années 2010, Marc Baron a abandonné le saxophone pour se tourner vers une musique électroacoustique composée principalement à partir de bandes manipulées et d'enregistrements trouvés. Lucio Capece continue d'utiliser le saxophone, comme on peut l'entendre dans ce disque, mais il compose dorénavant une musique plus proche de l'installation sonore qui est concentrée sur les processus de perception et d'audition (notamment à travers des dispositifs de haut-parleurs placés dans des ballons).
Malgré les similarités, ces deux musiciens produisent des musiques vraiment différentes pourtant, et c'est certainement ce qui fait toute la richesse de cette rencontre. La collaboration s'est faite à distance, à partir de matériaux sonores échangés, parmi lesquels on retrouve des manipulations de bande, des field-recordings quotidiens (voix, plage), du saxophone, un "solo" de cymbales sur boîte à rythmes, des nappes de bruit blanc jouées sur un filtre de synthé, et j'en oublie. On reconnaît souvent assez bien chacun des musiciens, ils proposent chacun quelque chose de différent, et pourtant le tout est homogène, les réponses et les modifications apportées à chaque proposition sont cohérentes. Mais surtout, c'est la finesse et la sensibilité qui règnent durant tout le disque qui font la cohésion de l'ensemble. Tout semble beau et fin, mélancolique à l'image de ces longues notes de saxophones que tient Capece, soutenue par une boucle nostalgique en retrait, le tout de manière harmonique. Si les matériaux et les atmosphères sont hétérogènes, il y a quand même une sorte de sensibilité, une forme de poésie et de manière de dialoguer qui reste de mise durant tout le disque. Peu importe que le dialogue soit composé de bribes d'enregistrements, de bandes retournées et découpées, de saxophone, de bruits synthétiques, il s'agit avant tout de faire dialoguer ces éléments variés pour composer une musique nouvelle et belle.
Est-ce que le duo s'est fixé un objectif, vers quelle direction il voulait aller, quelle idée il a tenté d'explorer ? Je n'en sais rien. Mais le résultat est une musique qui marque surtout par sa beauté, sa cohérence, et son goût pour l'exploration de territoires connus, mais sous un angle différent. Les sons utilisés semblent souvent familiers pour quiconque écoute un peu de musique expérimentale, mais c'est l'angle d'approche qui surprend. On a l'impression de voir un paysage connu à travers un objectif nouveau, ou un cadrage inhabituel. La "matière sonore" exploitée ici est riche, mais pas autant que cette manière de l'exploiter. Capece et Baron semblent "décadrer" tout ce qu'ils utilisent, à travers des ralentissements, des étirements, des coupures, des répétitions. Chaque son est remis en perspective, et ainsi, tout ce qui est manipulé par ces musiciens devient juste beau. Beau, touchant et envoutant, intense et sensible.
Alors oui il s'agit de deux musiciens très créatifs au niveau sonore, deux musiciens qui explorent de nombreuses possibilités sonores. Mais ce qui marque ici, c'est surtout la manière dont ces sons ont été arrangés, c'est surtout la composition qui marque en somme. Il ne s'agit pas seulement d'interactivité et de sensibilité, ni de recherche sonore pure, il s'agit de réflexion sur la composition même. Et c'est là où on ne sait plus trop qui, de Capece et Baron, travaille, c'est là que le travail vraiment en commun intervient, au-delà des interventions musicales, pour produire une pièce homogène. C'est dans la composition que les sons acquièrent cette dimension nouvelle, cette remise en perspective et cet angle nouveau qui font de ce disque un disque unique, beau, et aventureux. Un excellent disque en somme.
LUCIO CAPECE & MARC BARON - My trust in you (CD, erstwhile, 2018)
Norbert Möslang, Kurt Liedwart, Günter Müller - Ground
Günter Müller et Norbert Möslang font partie de cette première génération de musiciens à avoir su allier la musique improvisée et la musique électroacoustique avec brio. Enfin ce n'est pas vraiment la première génération, mais c'est celle qui a contribué à faire de l'improvisation électroacoustique une sorte de genre à part entière, un mouvement inédit qui est devenu inévitable entre les années 90 et 2000. Ces deux figures essentielles de la musique électronique expérimentale ont déjà collaboré à de nombreuses reprises, notamment au sein de poire_z (avec eRikm et Andy Guhl), et c'est la cinquième fois qu'on les retrouve sur le label russe Mikroton, qui se spécialise dorénavant dans les musiques électroniques et expérimentales.
Ground est un enregistrement live de 2017 pris lors d'un concert en Suisse auquel participait également Kurt Liedwart. Le trio explore l'électronique sous toutes ses coutures durant cette petite heure. Je ne sais pas exactement ce qui se cache sous les ipods, les objets domestiques détournés et l'électronique, mais le résultat est une profusion d'univers sonores très variés. Müller, Liedwart et Möslang peuvent aussi bien s'aventurer sur des terrains qui ressemblent à un orchestre de flûtes faisant des glissandi étranges, explorer des contrées sombres et atmosphériques, des territoires plus rythmiques et technoïdes, ou chercher les limites de l'électronique et travailler sur des textures minimales et grésillantes proches du court-circuit. Leur collaboration est parfois volontairement chaotique et harsh, quelque fois on est dans des terrains plus connus, des nappes à moitié mélodiques, des improvisations minimalistes proches du silence, de longs drones, etc.
Il se passe vraiment beaucoup de choses sur ces deux pistes, le trio sait faire preuve de créativité et de rigueur. Il ne s'agit pas d'envoyer tout ce qu'ils ont sous la main, non, ils savent faire bon usage de chaque élément et ils en exploitent toutes les ressources. Müller, Liedwart et Möslang proposent ici une collaboration vraiment réussie où tout se joue sur une interactivité précise : les interventions paraissent toujours calculées, on a l'impression que tout est écrit, et les structures déployées durant ce disque sont très attentives à ne jamais en faire trop, ni pas assez. De plus il y a comme un savant calcul entre les moments de détente et de tension, de maximalisme et de minimalisme, de chaos et d'ordre. Mais le plus étonnant et ce qui m'enthousiasme le plus dans cette rencontre, c'est la profusion de timbres, de textures, et de couleurs. Le trio ne cesse de surprendre et d'innover au niveau de la création sonore pure, il parvient toujours à explorer des territoires sonores vierges, ou à explorer des territoires connus mais sous un angle personnel.
Fans de musiques électroniques aventureuses et d'improvisations électroacoustiques, venez donc voir par ici.
GÜNTER MÜLLER, KURT LIEDWART, NORBERT MÖSLANG - Ground (CD, Mikroton, 2018)
Trio Sowari - Third Issue
Burkhard Beins, Bertrand Denzler, et Phil Durrant, trois noms que beaucoup ont déjà aperçu sur des disques et des affiches, trois musiciens qui parcourent les scènes de la musique improvisée depuis de nombreuses années maintenant. Ces trois figures essentielles de l'eai et du réductionnisme (qu'on peut trouver dans Mimeo, Hubbub et Polwechsel) ont également leur formation que vous avez déjà du croiser : le Trio Sowari, dont le premier disque (sur potlatch) remonte au milieu des années 2000.
Je fais cette introduction très convenue car le CV de ces musiciens explique en partie pourquoi ce dernier disque est si bien. Je n'écoute plus beaucoup de musiques improvisées, qu'elle soit européenne, jazz, électroacoustique, réductionniste ou autre, parce que je me suis lassé des canons de ces dernières. Et Third Issue, le dernier disque du Trio Sowari, respecte ces canons, il ne cherche pas franchement à les dépasser. Et pourtant, c'est un pur plaisir d'écouter ce disque que j'aime rejouer constamment. Il y a en grande partie deux raisons extérieures à la musique elle-même qui font de ce disque une réussite. Deux raisons qui n'en sont qu'une en fait, une seule et même cause déclinée d'un point de vue personnel et collectif. L'ancienneté et la pratique tout simplement. Car ces trois musiciens font partie des précurseurs de l'eai et du réductionnisme, il joue cette musique depuis maintenant une vingtaine d'années (ou pas loin) et ils ont su, depuis le temps, fabriquer un langage qui leur est propre, unique et personnel. De plus, la formation Sowari existe aussi depuis une près de 15 ans, il ne s'agit pas d'une de ces rencontres fortuites et à peine préparées entre têtes d'affiche, non. Il s'agit là d'une collaboration entre trois musiciens proches qui ont su développer une relation précise, une relation où chacun a sa place, où chacun sait comment il doit réagir à chaque évènement pour ne pas mettre en péril la cohésion du groupe, tout cela de manière très nette.
Quant à la musique, il n'y a pas tellement de surprise quant au contenu, ni à la forme. Le Trio Sowari propose quatre longues pièces composées de sons continus, d'interventions délicates, de techniques étendues, et d'un subtil mélange entre instrument à vent (saxophone), percussions, et instruments électroniques (ordinateur et synthétiseur). La grande force de ce trio est de parvenir à créer un univers sonore très homogène à partir de sources si hétéroclites. Le groupe peut aussi bien choisir de travailler sur l'aspect percussif du son, de jouer sur la continuité et une certaine forme de mélodie, comme sur la modulation de fréquences, il semble toujours aussi à l'aise quelque soit la forme que prend leur musique. Car le trio prête une grande attention au son et il le traite avec rigueur et précision, c'est très fin et très subtil, et c'est certainement le plus remarquable dans cette musique. Une musique en apparence toute simple et subtile, composée d'éléments microscopiques, qui avec du recul s'avère d'une richesse et d'une profusion étonnantes.
TRIO SOWARI - Third Issue (CD, Mikroton, 2018)
Je fais cette introduction très convenue car le CV de ces musiciens explique en partie pourquoi ce dernier disque est si bien. Je n'écoute plus beaucoup de musiques improvisées, qu'elle soit européenne, jazz, électroacoustique, réductionniste ou autre, parce que je me suis lassé des canons de ces dernières. Et Third Issue, le dernier disque du Trio Sowari, respecte ces canons, il ne cherche pas franchement à les dépasser. Et pourtant, c'est un pur plaisir d'écouter ce disque que j'aime rejouer constamment. Il y a en grande partie deux raisons extérieures à la musique elle-même qui font de ce disque une réussite. Deux raisons qui n'en sont qu'une en fait, une seule et même cause déclinée d'un point de vue personnel et collectif. L'ancienneté et la pratique tout simplement. Car ces trois musiciens font partie des précurseurs de l'eai et du réductionnisme, il joue cette musique depuis maintenant une vingtaine d'années (ou pas loin) et ils ont su, depuis le temps, fabriquer un langage qui leur est propre, unique et personnel. De plus, la formation Sowari existe aussi depuis une près de 15 ans, il ne s'agit pas d'une de ces rencontres fortuites et à peine préparées entre têtes d'affiche, non. Il s'agit là d'une collaboration entre trois musiciens proches qui ont su développer une relation précise, une relation où chacun a sa place, où chacun sait comment il doit réagir à chaque évènement pour ne pas mettre en péril la cohésion du groupe, tout cela de manière très nette.
Quant à la musique, il n'y a pas tellement de surprise quant au contenu, ni à la forme. Le Trio Sowari propose quatre longues pièces composées de sons continus, d'interventions délicates, de techniques étendues, et d'un subtil mélange entre instrument à vent (saxophone), percussions, et instruments électroniques (ordinateur et synthétiseur). La grande force de ce trio est de parvenir à créer un univers sonore très homogène à partir de sources si hétéroclites. Le groupe peut aussi bien choisir de travailler sur l'aspect percussif du son, de jouer sur la continuité et une certaine forme de mélodie, comme sur la modulation de fréquences, il semble toujours aussi à l'aise quelque soit la forme que prend leur musique. Car le trio prête une grande attention au son et il le traite avec rigueur et précision, c'est très fin et très subtil, et c'est certainement le plus remarquable dans cette musique. Une musique en apparence toute simple et subtile, composée d'éléments microscopiques, qui avec du recul s'avère d'une richesse et d'une profusion étonnantes.
TRIO SOWARI - Third Issue (CD, Mikroton, 2018)
Michael Pisaro - étant donnés
Durant quelques années, le label Gravity Wave dédié au travail de Michael Pisaro semblait inactif, alors que ce dernier cumulait les tournées et les projets. Je ne sais pas pourquoi il y a eu cette pause, mais le label reprend bel et bien du service avec la publication de deux disques cette année : étant donnés et un duo avec Reinier van Houdt, en attendant un gros coffret à paraître l'année prochaine sur lequel Pisaro sera rejoint par d'autres membres de wandelweiser (Antoine Beuger, Jürg Frey et Radu Malfatti entre autres).
Quand j'ai vu le titre du premier, je n'ai pas vraiment pensé à Marcel Duchamp, non, mais à Etant Donnés, le célèbre groupe français fondés par Eric et Marc Hurtado. Le titre semblait déjà intrigant, mais de savoir que Pisaro proposait ici des compositions basées sur des samples, je me demandais si vraiment c'était un hommage à la musique indus. Résultat, je n'en ai aucune idée puisque l'idée de récupération est commune à Duchamp aussi bien qu'à la plupart des groupes de musique industrielle, et Duchamp n'est pas la dernière influence de nombre de groupes dits industriels...
étant donnés est certainement le disque le plus accessible de Pisaro avec Tombstones (un disque dont on parle rarement de chansons pop interprétées par Julia Holter), et il constitue peut-être la mailleure introduction à l'œuvre de ce dernier pour quelqu'un qui ne serait pas familier avec Pisaro, wandelweiser et les musiques expérimentales. Car avant tout, il s'agit d'un disque de pop, et je n'ai pas l'impression que Pisaro traite la pop avec ironie ni qu'il tente de la déconstruire à la manière d'un situationniste, d'un surréaliste ou d'un Boyd Rice. Sur ce disque, on retrouve des samples de jazz tranquille, de musiques de films, de classique, des samples plus ou moins longs. Ils peuvent être mis en boucles simplement, superposés, ou ralentis aux extrêmes, ils peuvent être entrecoupés de silence, et la plupart du temps, Pisaro y ajoute les sine waves qui lui sont si familières.
La méthode de composition n'est pas forcément inhabituelle, c'est la matière sonore qui l'est. Alors bien sûr, aux premiers abords, c'est vraiment déroutant, on se demande ce qu'il se passe. Pourquoi toute cette pop, pourquoi tous ces samples ? Mais une fois passée cette question qui n'a pas forcément d'intérêt, on se plonge dans un univers familier où les samples sont en fait traités comme n'importe quel instrument ou enregistrement chez Pisaro. L'ambiance générale est vraiment suprenante, aucun doute, mais le traitement des samples correspond bien au travail habituel de Pisaro. Il s'agit de remettre le son dans une nouvelle perspective à l'aide de collage, de mixage et de sine waves, le tout dans une approche minimaliste.
Quand on fait abstraction de la source sonore en tant que telle, on se rend compte que étant donnés n'est pas si loin de Transparent Cities par exemple, où Pisaro traitait une matière beaucoup plus brute et raide, des enregistrements urbains le plus anodin possible. Sur étant donnés, il s'agit de samples, des samples qui prennent un autre sens du fait des découpages, des montages et collages, des quelques manipulations sonores et de l'ajout d'ondes sinusoïdales. Pisaro compose ici une musique étrange et belle, une sorte de pop expérimentale et avant-gardiste qui n'est pas du tout méprisante ou même ironique. Pisaro joue avec les textures et les atmosphères propres à ces samples, il leur confère une nouvelle spatialisation, un nouveau sens, et compose avec ces musiques des pièces inhabituelles certes pour tous les amateurs de sa musique, mais qui font largement écho à son travail.
étant donnés fait partie de ces quelques disques qui tournent en boucle depuis des semaines et que je pense avoir souvent envie de ressortir au cours des années à venir. Il s'agit d'un disque aussi suprenant que raffraichissant, mais également d'un disque d'une beauté et d'une intelligence rares. La pop prend ici une autre dimension et devient l'instrument d'une musique grande, aventureuse, fine, et puissante.
MICHAEL PISARO - étant donnés (CD, Gravity Wave, 2018)
Quand j'ai vu le titre du premier, je n'ai pas vraiment pensé à Marcel Duchamp, non, mais à Etant Donnés, le célèbre groupe français fondés par Eric et Marc Hurtado. Le titre semblait déjà intrigant, mais de savoir que Pisaro proposait ici des compositions basées sur des samples, je me demandais si vraiment c'était un hommage à la musique indus. Résultat, je n'en ai aucune idée puisque l'idée de récupération est commune à Duchamp aussi bien qu'à la plupart des groupes de musique industrielle, et Duchamp n'est pas la dernière influence de nombre de groupes dits industriels...
étant donnés est certainement le disque le plus accessible de Pisaro avec Tombstones (un disque dont on parle rarement de chansons pop interprétées par Julia Holter), et il constitue peut-être la mailleure introduction à l'œuvre de ce dernier pour quelqu'un qui ne serait pas familier avec Pisaro, wandelweiser et les musiques expérimentales. Car avant tout, il s'agit d'un disque de pop, et je n'ai pas l'impression que Pisaro traite la pop avec ironie ni qu'il tente de la déconstruire à la manière d'un situationniste, d'un surréaliste ou d'un Boyd Rice. Sur ce disque, on retrouve des samples de jazz tranquille, de musiques de films, de classique, des samples plus ou moins longs. Ils peuvent être mis en boucles simplement, superposés, ou ralentis aux extrêmes, ils peuvent être entrecoupés de silence, et la plupart du temps, Pisaro y ajoute les sine waves qui lui sont si familières.
La méthode de composition n'est pas forcément inhabituelle, c'est la matière sonore qui l'est. Alors bien sûr, aux premiers abords, c'est vraiment déroutant, on se demande ce qu'il se passe. Pourquoi toute cette pop, pourquoi tous ces samples ? Mais une fois passée cette question qui n'a pas forcément d'intérêt, on se plonge dans un univers familier où les samples sont en fait traités comme n'importe quel instrument ou enregistrement chez Pisaro. L'ambiance générale est vraiment suprenante, aucun doute, mais le traitement des samples correspond bien au travail habituel de Pisaro. Il s'agit de remettre le son dans une nouvelle perspective à l'aide de collage, de mixage et de sine waves, le tout dans une approche minimaliste.
Quand on fait abstraction de la source sonore en tant que telle, on se rend compte que étant donnés n'est pas si loin de Transparent Cities par exemple, où Pisaro traitait une matière beaucoup plus brute et raide, des enregistrements urbains le plus anodin possible. Sur étant donnés, il s'agit de samples, des samples qui prennent un autre sens du fait des découpages, des montages et collages, des quelques manipulations sonores et de l'ajout d'ondes sinusoïdales. Pisaro compose ici une musique étrange et belle, une sorte de pop expérimentale et avant-gardiste qui n'est pas du tout méprisante ou même ironique. Pisaro joue avec les textures et les atmosphères propres à ces samples, il leur confère une nouvelle spatialisation, un nouveau sens, et compose avec ces musiques des pièces inhabituelles certes pour tous les amateurs de sa musique, mais qui font largement écho à son travail.
étant donnés fait partie de ces quelques disques qui tournent en boucle depuis des semaines et que je pense avoir souvent envie de ressortir au cours des années à venir. Il s'agit d'un disque aussi suprenant que raffraichissant, mais également d'un disque d'une beauté et d'une intelligence rares. La pop prend ici une autre dimension et devient l'instrument d'une musique grande, aventureuse, fine, et puissante.
MICHAEL PISARO - étant donnés (CD, Gravity Wave, 2018)
Toshiya Tsunoda & Taku Unami - Wovenland
Le Japon, pays des extrêmes, c'est un vrai cliché, oui. Pourtant, aujourd'hui encore c'est le pays où toutes les limites et les frontières de la musique sont bouleversées. On aurait pu croire que le japanoise atteignait un point de non-retour, mais au contraire, il se trouve toujours des musiciens et des artistes à explorer des territoires extrêmes et totalement inconnus, des idées et des concepts uniques, qui vont encore bien au-delà de l'onkyo. Taku Unami et Toshiya Tsunoda font partie de ces artistes qui ont connu l'exploration sans limite du mur de bruit, qui ont aussi participé à la création d'une réponse à la noise et à la surenchère en utilisant silence et minimalisme. Aujourd'hui, Taku Unami, d'après ce que j'en entends, semble surtout œuvrer dans le domaine d'installations sonores énigmatiques (mais pas uniquement). Quant à Toshiya Tsunoda, si c'est une figure a priori discrète du field-recording, il semble être une influence majeure pour de nombreux artistes, comme peuvent le montrer les diverses collaborations publiées ces dernières années avec Michael Pisaro, et il risque de se révéler une des figures majeures de cette pratique au fil des années.
Le cœur de cette collaboration est le field-recording, mas envisagé d'une manière toute particulière. Le disque s'ouvre et se ferme sur deux pièces de 10 minutes chacune, qui semblent tout à fait "normales" (entre gros guillemets). Il s'agit d'enregistrements réalisés dans un parc chinois, des enregistrements qui brillent par leur simplicité, leur retrait poétique et leur discrétion. Les micros sont placés un peu à l'écart du "cœur de l'action", et l'environnement est envisagé comme un tout où les sons périphériques sont aussi importants que les sons centraux. On reconnaît ici tout l'art de Toshiya Tsunoda, passioné par cette focalisation sur des détails et les accidents, sur l'environnement sonore comme un tout qu'on ne perçoit pas, mais que ce dernier arrive toujours à balancer de manière poétique. Cette ouverture et cette fermeture du disque paraissent toute anodine, toute banale, et c'est tout l'intérêt du travail de Toshiya Tsunoda, rendre le quotidien et l'environnement beaux et musicaux.
Mais c'est entre deux que tout déraille, que l'auditeur se trouve tout retourné et perdu dans une sorte de labyrinthe conceptuel. Il s'agit toujours de field-recordings, oui, toujours d'enregistrements banals, mais de field-recordings tous plus énigmatiques les uns que les autres, comme des field-recordings hachés par le hasard. Le hasard et l'accident tiennent une place prépondérante je pense dans les field-recordings, mais ici, c'est d'une autre nature. Toshiya Tsunoda et Taku Unami semblent laisser la musique se composer elle-même après avoir trouvé une idée. Les deux musiciens jouent un rôle dans le choix des micros, dans les placements, et peut-être dans une certaine forme de montage (et encore), ils jouent encore un rôle en appliquant certaines techniques ou idées à ces enregistrements, mais ensuite, on dirait que quelque soit le résultat, ils le gardent, comme un fait inéluctable. Le geste musical consiste ici en des traitements parfois classiques (ralentissement, accélération), mais dont la longueur et l'immuabilité les rend plus profond qu'on ne s'y attend, parfois plus tordus : comme cette étrange pièce constitué de deux enregistrements qui se déclenchent et se coupent de manière épileptique dès que l'un ou l'autre atteint un certain seuil.
Il y a encore d'autres techniques de composition, de traitement ou d'enregistrement mais je ne pense pas qu'il soit nécessaire de les énumérer car en soit elles ne sont pas si importantes. Le plus important est l'attitude des musiciens par rapport à ces techniques. La technique ici devient un instrument, il s'agit de jouer sur le réel avec ces instruments, de le déformer pour obtenir un objet musical qui s'avère complètement déroutant et énigmatique. La réalité perd son sens ou en acquiert de nouveau, on se retrouve surtout face à la réalité des idées du duo, face à la réalité du duo. Chaque choix, chaque traitement, n'est plus simplement un effet de style, une certaine esthétique, il devient une réalité et un objet musical nouveau.
Même si Wovenland apparaît au premier abord comme un disque de field-recording, il va bien au-delà. C'est une sorte de geste artistique et conceptuel qui dénature la réalité, un geste explose le réel et la musique pour nous emmener dans un monde unique et nouveau. J'aime beaucoup l'aspect déconcertant, labyrinthique et déroutant des dernières productions de Taku Unami, mais ici, allié à la beauté et la précision des enregistrements de Toshiya Tsunoda (qui n'en est pas à son coup d'essai dans ce genre de traitement très singulier des field-recordings), on se re trouve plongé dans un univers fantastique au sens littéral, un univers où le quotidien est bouleversé par des éléments étranges, où le familier cotoie l'étrangeté, et où la musicalité, l'intelligence et la beauté sont loin d'être en reste.
TOSHIYA TSUNODA & TAKU UNAMI - Wovenland (CD, erstwhile, 2018)
Le cœur de cette collaboration est le field-recording, mas envisagé d'une manière toute particulière. Le disque s'ouvre et se ferme sur deux pièces de 10 minutes chacune, qui semblent tout à fait "normales" (entre gros guillemets). Il s'agit d'enregistrements réalisés dans un parc chinois, des enregistrements qui brillent par leur simplicité, leur retrait poétique et leur discrétion. Les micros sont placés un peu à l'écart du "cœur de l'action", et l'environnement est envisagé comme un tout où les sons périphériques sont aussi importants que les sons centraux. On reconnaît ici tout l'art de Toshiya Tsunoda, passioné par cette focalisation sur des détails et les accidents, sur l'environnement sonore comme un tout qu'on ne perçoit pas, mais que ce dernier arrive toujours à balancer de manière poétique. Cette ouverture et cette fermeture du disque paraissent toute anodine, toute banale, et c'est tout l'intérêt du travail de Toshiya Tsunoda, rendre le quotidien et l'environnement beaux et musicaux.
Mais c'est entre deux que tout déraille, que l'auditeur se trouve tout retourné et perdu dans une sorte de labyrinthe conceptuel. Il s'agit toujours de field-recordings, oui, toujours d'enregistrements banals, mais de field-recordings tous plus énigmatiques les uns que les autres, comme des field-recordings hachés par le hasard. Le hasard et l'accident tiennent une place prépondérante je pense dans les field-recordings, mais ici, c'est d'une autre nature. Toshiya Tsunoda et Taku Unami semblent laisser la musique se composer elle-même après avoir trouvé une idée. Les deux musiciens jouent un rôle dans le choix des micros, dans les placements, et peut-être dans une certaine forme de montage (et encore), ils jouent encore un rôle en appliquant certaines techniques ou idées à ces enregistrements, mais ensuite, on dirait que quelque soit le résultat, ils le gardent, comme un fait inéluctable. Le geste musical consiste ici en des traitements parfois classiques (ralentissement, accélération), mais dont la longueur et l'immuabilité les rend plus profond qu'on ne s'y attend, parfois plus tordus : comme cette étrange pièce constitué de deux enregistrements qui se déclenchent et se coupent de manière épileptique dès que l'un ou l'autre atteint un certain seuil.
Il y a encore d'autres techniques de composition, de traitement ou d'enregistrement mais je ne pense pas qu'il soit nécessaire de les énumérer car en soit elles ne sont pas si importantes. Le plus important est l'attitude des musiciens par rapport à ces techniques. La technique ici devient un instrument, il s'agit de jouer sur le réel avec ces instruments, de le déformer pour obtenir un objet musical qui s'avère complètement déroutant et énigmatique. La réalité perd son sens ou en acquiert de nouveau, on se retrouve surtout face à la réalité des idées du duo, face à la réalité du duo. Chaque choix, chaque traitement, n'est plus simplement un effet de style, une certaine esthétique, il devient une réalité et un objet musical nouveau.
Même si Wovenland apparaît au premier abord comme un disque de field-recording, il va bien au-delà. C'est une sorte de geste artistique et conceptuel qui dénature la réalité, un geste explose le réel et la musique pour nous emmener dans un monde unique et nouveau. J'aime beaucoup l'aspect déconcertant, labyrinthique et déroutant des dernières productions de Taku Unami, mais ici, allié à la beauté et la précision des enregistrements de Toshiya Tsunoda (qui n'en est pas à son coup d'essai dans ce genre de traitement très singulier des field-recordings), on se re trouve plongé dans un univers fantastique au sens littéral, un univers où le quotidien est bouleversé par des éléments étranges, où le familier cotoie l'étrangeté, et où la musicalité, l'intelligence et la beauté sont loin d'être en reste.
TOSHIYA TSUNODA & TAKU UNAMI - Wovenland (CD, erstwhile, 2018)
Jérôme Noetinger, Robert Piotrowicz, Anna Zaradny - Crackfinder
En 2016, Jérôme Noetinger rejoignait les deux musiciens polonais Robert Piotrowicz et Anna Zaradny pour un concert à Cracovie. Je ne sais pas s'il y a eu d'autres collaborations avant, ni s'ils ont continué ensuite, mais à l'écoute de ce concert, on ne peut que souhaiter que cette réunion se produise encore. Car si Zaradny et Piotrowicz ont beaucoup joué ensemble, la présence de Noetinger paraît toute aussi naturelle que la collaboration de longue date des deux premiers. Chacun a un langage propre, et les rôles sont distincts dans ce trio, on reconnaît très bien les nappes de synthétiseurs de Piotrowicz, les variations de vitesse sur les bandes de Noetinger et le saxophone de Zaradny, mais le trio forme un ensemble organique et uni, une masse cohérente et riche. Crackfinder, c'est donc ce live d'une intensité, d'une profondeur et d'une puissance rares, le genre de concert auquel on rêve d'assister.
Des oscillateurs profonds forment des masses mouvantes aux sonorités proches de clusters d'orgue d'église. Des bandes sont manipulées de manière abstraite où le son semble couler, courir, sauter comme dans un delay à bandes déconstruit. Un saxophone se mêle à tout ça de manière parfois abstraite, parfois plus "mélodique", et apporte une touche instrumentale, acoustique et free jazz qui donne un relief supplémentaire à ces pièces. Le trio joue sur des basses très profondes et des mediums très riches, sur des résonances et des sons continus. De manière générale, le son est d'une beauté et d'une richesse frappantes, mais ce n'est pas tellement le plus intéressant.
On n'est pas tellement surpris par l'environnement sonore, mais plutôt par la cohésion qui règne dans cette formation. Expérimentations électroniques, manipulations de bandes, synthèses analogiques et improvisations de saxophone ne font qu'un dans ces deux pièces. Toutes les sources sonores semblent circuler en circuit fermé et être manipulées par chacun des musiciens. On dirait que le son est filtré et manipulé par chacun des musiciens, que chaque musicien joue avec le son des autres. Je ne sais pas si c'est vraiment le cas, ou si c'est seulement l'intérêt collectif de faire de la performance elle-même avec ses accidents, son environnement, le processus de création, mais quoiqu'il en soit, cette collaboration est d'une cohésion incroyable. Tout ce mélange en un magma organique où les différents éléments sont bien distincts, mais parfaitement homogènes. Même au niveau de la structure, malgré les nombreuses fractures et la multitude d'évènements, on reste surtout marqué par la continuité des évènements. Tout semble fluide, naturel et organique, au niveau sonore comme au niveau structurel, et c'est cette fluidité, cette cohésion qui font pour moi toute la puissance de ce disque.
Une collaboration unique entre trois grands musiciens où la diversité des instruments fait toute la richesse sonore d'un côté, mais passe quand même au second plan derrière la cohésion de l'ensemble. L'échange et l'écoute entre chacun est incroyable, et produit une niveau d'intensité et de puissance rares. Les évènements sont nombreux mais assemblés de manière à former quelque chose de cohérent et continu, ce qui renforce encore l'intensité de cette performance. Tout ça fait de Crackfinder un disque original, qui marque par sa densité, sa richesse, son intelligence et sa sensibilité. Trois musiciens virtuoses au service d'une musique extrêmement dense et intense, pour une performance électroacoustique d'une précision et d'une profondeur rares.
JEROME NOETINGER, ROBERT PIOTROWICZ, ANNA ZARADNY - Crackfinder (LP, Musica Genera, 2018)
Des oscillateurs profonds forment des masses mouvantes aux sonorités proches de clusters d'orgue d'église. Des bandes sont manipulées de manière abstraite où le son semble couler, courir, sauter comme dans un delay à bandes déconstruit. Un saxophone se mêle à tout ça de manière parfois abstraite, parfois plus "mélodique", et apporte une touche instrumentale, acoustique et free jazz qui donne un relief supplémentaire à ces pièces. Le trio joue sur des basses très profondes et des mediums très riches, sur des résonances et des sons continus. De manière générale, le son est d'une beauté et d'une richesse frappantes, mais ce n'est pas tellement le plus intéressant.
On n'est pas tellement surpris par l'environnement sonore, mais plutôt par la cohésion qui règne dans cette formation. Expérimentations électroniques, manipulations de bandes, synthèses analogiques et improvisations de saxophone ne font qu'un dans ces deux pièces. Toutes les sources sonores semblent circuler en circuit fermé et être manipulées par chacun des musiciens. On dirait que le son est filtré et manipulé par chacun des musiciens, que chaque musicien joue avec le son des autres. Je ne sais pas si c'est vraiment le cas, ou si c'est seulement l'intérêt collectif de faire de la performance elle-même avec ses accidents, son environnement, le processus de création, mais quoiqu'il en soit, cette collaboration est d'une cohésion incroyable. Tout ce mélange en un magma organique où les différents éléments sont bien distincts, mais parfaitement homogènes. Même au niveau de la structure, malgré les nombreuses fractures et la multitude d'évènements, on reste surtout marqué par la continuité des évènements. Tout semble fluide, naturel et organique, au niveau sonore comme au niveau structurel, et c'est cette fluidité, cette cohésion qui font pour moi toute la puissance de ce disque.
Une collaboration unique entre trois grands musiciens où la diversité des instruments fait toute la richesse sonore d'un côté, mais passe quand même au second plan derrière la cohésion de l'ensemble. L'échange et l'écoute entre chacun est incroyable, et produit une niveau d'intensité et de puissance rares. Les évènements sont nombreux mais assemblés de manière à former quelque chose de cohérent et continu, ce qui renforce encore l'intensité de cette performance. Tout ça fait de Crackfinder un disque original, qui marque par sa densité, sa richesse, son intelligence et sa sensibilité. Trois musiciens virtuoses au service d'une musique extrêmement dense et intense, pour une performance électroacoustique d'une précision et d'une profondeur rares.
JEROME NOETINGER, ROBERT PIOTROWICZ, ANNA ZARADNY - Crackfinder (LP, Musica Genera, 2018)
Thomas Ankersmit - Homage to Dick Raaijmakers
Après quatre ans d'absence, Thomas Ankersmit revient enfin avec un nouveau solo à paraître durant septembre, un disque hautement recommandé pour n'importe quellle personne intéressée par la musique électroacoustique, la noise, ou les compositions pour synthétiseurs modulaires. Il s'agit d'une commande de Sonic Acts pour une composition électronique en hommage au compositeur Dick Raaijmakers, décédé en 2013, réalisée sur un système modulaire Serge, accompagné de micro contacts et d'un générateur de sinusoïdes et d'ondes carrées.
La pièce est composée de plusieurs parties distinctes qui forment des blocs plutôt homogènes. On traverse différents environnements qui peuvent être aussi bien des sortes de nuages sonores formés par le modulaire, des plages de fréquences simples qui se jouent des otoémissions acoustiques (ce pourquoi l'écoute au casque n'est pas conseillée), jusqu'au superbe climax atteint à la moitié de la composition, composé de fréquences abrasives et saturées, de larsens stridents et de brouillard analogique.
Je n'ai pas réécouté les précédents disques solo d'Ankersmit depuis pas mal de temps, mais j'ai l'impression que celui-ci est plus dépouillé, plus austère, et en même temps bien plus intense et superbement construit. Les différentes parties s'équilibrent très bien les unes les autres et forment une structure narrative cohérente et parfaite. Quant au son lui-même, c'est juste fantastique. Les premiers nuages forment des masses qui ressemblent à des field-recordings. On a plus l'impression d'entendre un enregistrement d'ambience qu'un synthétiseur. C'est organique, chaotique et rationnel comme la nature, une sorte d'atmosphère lourde et menaçante, monolithique et extrêmement vivante. Pour les passages plus axés sur des fréquences simples, je n'ai pas souvenir d'avoir entendu quelque chose d'aussi poussé depuis longtemps sur les recherches acoustiques. Avec deux ou trois fréquences (sine et pulse) et très peu de mouvement sonore, notre corps perçoit une multitude de phénomènes sonores illusoires selon notre place et nos mouvements. Puis vient ce climax monumental, une explosion de fréquences en tous genres, d'oscillateurs en larsens, de masses abrasives, de crépitements eléctriques et de distorsions.
La seconde partie du disque est moins claire et ces éléments se mélangent en plus de bandes manipulées et de micro-contacts manipulés assez discrètement. C'est plus calme, plus subtil et moins impressionnant à la première écoute mais c'est exactement ce qu'il fallait pour finir, reste une recherche de textures sonores plutôt hallucinante qui nous entraîne dans des contrées méconnues et inattendues.
En bref, voici un disque de musique électroacoustique monumental. Ankersmit développe un langage sonore inoui, dans une structure juste parfaite. On entend rarement un modulaire sonner de manière aussi vivante et abstraite en même temps, organique et austère, Ankersmit a su composer ici une musique unique au-delà du drone, de la noise et de l'électroacoustique, il s'agit d'une véritable composition musicale électronique, aussi puissante et organique que la meilleure des oeuvres pour orchestre.
THOMAS ANKERSMIT - Homage to Dick Raaijmakers (CD/LP, Shelter Press, 2018)
La pièce est composée de plusieurs parties distinctes qui forment des blocs plutôt homogènes. On traverse différents environnements qui peuvent être aussi bien des sortes de nuages sonores formés par le modulaire, des plages de fréquences simples qui se jouent des otoémissions acoustiques (ce pourquoi l'écoute au casque n'est pas conseillée), jusqu'au superbe climax atteint à la moitié de la composition, composé de fréquences abrasives et saturées, de larsens stridents et de brouillard analogique.
Je n'ai pas réécouté les précédents disques solo d'Ankersmit depuis pas mal de temps, mais j'ai l'impression que celui-ci est plus dépouillé, plus austère, et en même temps bien plus intense et superbement construit. Les différentes parties s'équilibrent très bien les unes les autres et forment une structure narrative cohérente et parfaite. Quant au son lui-même, c'est juste fantastique. Les premiers nuages forment des masses qui ressemblent à des field-recordings. On a plus l'impression d'entendre un enregistrement d'ambience qu'un synthétiseur. C'est organique, chaotique et rationnel comme la nature, une sorte d'atmosphère lourde et menaçante, monolithique et extrêmement vivante. Pour les passages plus axés sur des fréquences simples, je n'ai pas souvenir d'avoir entendu quelque chose d'aussi poussé depuis longtemps sur les recherches acoustiques. Avec deux ou trois fréquences (sine et pulse) et très peu de mouvement sonore, notre corps perçoit une multitude de phénomènes sonores illusoires selon notre place et nos mouvements. Puis vient ce climax monumental, une explosion de fréquences en tous genres, d'oscillateurs en larsens, de masses abrasives, de crépitements eléctriques et de distorsions.
La seconde partie du disque est moins claire et ces éléments se mélangent en plus de bandes manipulées et de micro-contacts manipulés assez discrètement. C'est plus calme, plus subtil et moins impressionnant à la première écoute mais c'est exactement ce qu'il fallait pour finir, reste une recherche de textures sonores plutôt hallucinante qui nous entraîne dans des contrées méconnues et inattendues.
En bref, voici un disque de musique électroacoustique monumental. Ankersmit développe un langage sonore inoui, dans une structure juste parfaite. On entend rarement un modulaire sonner de manière aussi vivante et abstraite en même temps, organique et austère, Ankersmit a su composer ici une musique unique au-delà du drone, de la noise et de l'électroacoustique, il s'agit d'une véritable composition musicale électronique, aussi puissante et organique que la meilleure des oeuvres pour orchestre.
THOMAS ANKERSMIT - Homage to Dick Raaijmakers (CD/LP, Shelter Press, 2018)
Dave Phillips - Ritual Protest Music
Ritual Protest Music est un des derniers disques de Dave Phillips, dans la continuité de l'activisme sonore et de l'indus rituel, à l'instar de Rise. Sur ce disque, dp écrit moins mais parle plus, sa voix ne cesse de retentir, grognements ralentis et cris accompagnés de ses désormais fameux samples de coups de poings, meubles fracassés, et portes claquées. Les structures sont claires et linéaires, il y a souvent une base rythmique assez lente et claquante, des atmosphères tendues, le tout éclaté par des samples fracassants et une voix d'outre-tombe. On retrouve également de nombreux smples d'instruments acoustiques pour accompagnés les "punchs" si virulents de dp.
C'est un disque assez attendu en somme. Rien de bien suprenant. Mais toujours de mieux en mieux construit. Ici chaque morceau dure le temps qu'il faut, ce n'est pas juste une attaque sonore, mais plutôt une immersion dans nombre d'univers. Des univers sombres, moites, peuplés d'insectes et de voix déformées, des atmosphères glauques et anxiogènes, où les cardiaques ne devraient pas s'aventurer. dp décrit l'horreur d'un monde qui nie la vie. L'horreur d'un univers où le vivant est devenu une valeur marchande, où le règne de l'exploitation a sacrifié toute forme de vie.
Voilà encore un nouvel opus toujours mieux structuré, toujours aussi abrasif et explosif, sombre et intimidant, un disque qui nous fait sentir tout petit et coupable. Un disque de bruits et de rythmes, de flashs interruptifs et de nappes obscures, de basses assourdies et lentes rompues par des cris et attaques sonores en tous genres. Encore un excellent exemple de l'activisme sonore propre à dp, du talent, de la radicalité et de l'originalité de cette scène extrême gravitant autour de schimpfluch.
DAVE PHILLIPS - Ritual Protest Music (LP, Urbsounds, 2018)
SØS Gunver Ryberg - AFTRYK
Rythmiques obsédantes aux tendances parfois techno, parfois indus, des nappes de sons provenant de field recordings inidentifiables, AFTRYK est court mais d'une rare intensité. Quatre pièces très sombres et brumeuses où la précision chirurgicale des boîtes à rythmes se fondent dans des compositions d'art sonore ingénieuses et sombres. La force de SØS Gunver Ryberg est certainement de proposer des pièces où les couches ne sont jamais loin de s'embrouiller, de former une bouillie sonore saturée, sans jamais se départir d'une clarté et d'une netteté suffisantes. Suffisantes à quoi ? A bien conserver la texture et l'ambiance de chaque couche, de chaque beat, de chaque élément qui forme ces pièces multiphoniques d'une richesse et d'une force comme on en entend rarement.
C'est fort et riche oui, mais surtout, il y a une ambiance très personnelle, une atmosphère unique. Je pense que le fait de se servir de field recording contribue fortement à cette sensation d'être dans une ambiance unique. Mais pas seulement, c'est surtout que SØS Gunver Ryberg semble posséder une maîtrise parfaite de la sculpture sonore, elle peut créer ce qu'elle veut à partir de beaucoup de choses je pense, aussi bien d'enregistrements que de rythmiques en fait. Et ici, elle développe des univers noirs, sombres, et oppressants, proches de l'agression sonore, mais jamais vraiment, elle est toujours dans un équilibre très fin entre tension et relaxation. On est oppressé, puis bercé, avant d'être secoué à nouveau, pour finir dans une noyade délicieuse de chaos sonore et de rythmiques obsédantes. Excellent travail dans la lignée de Kerridge justement, aux confins de la musique électronique, du break-beat, de l'indus, de la noise et du sound-art.
SØS GUNVER RYBERG - AFTRYK (EP, 2016, Contort)
Dave Phillips - Rise
C'est devenu une habitude chez Dave Phillips d'introduire de longues diatribes à l'intérieur de ses disques dirait-on, et tant mieux, car ça fait toujours plaisir de voir un musicien s'intéresser à autre chose qu'à la musique, sans se cacher non plus derrière un engagement politique creux et convenu. Pour Rise, ce dernier a écrit plusieurs pages de deep ecology, de pensée anti-industrielle et anticapitaliste, pour l'abolition de la domination humaine sur la nature et la remise en question des structures de pensée religieuse et scientifique qui promulguent cette position. En tant que penseur comme en tant musicien, DP résiste aux étiquettes : les courants et les positions se croisent et s'entremêlent : aussi bien relents de néo-luddisme qu'écologie radicale et anarchiste, sans oublier l'antispécisme ; telle sa musique qui ne peut être réduite aux qualificatifs de noise, d'indus ou d'électroacoustique tout en étant tout ça à la fois.
Rise, publié en janvier 2017 et épuisé depuis, illustre parfaitement je trouve cet enchevêtrement d'influences et d'esthétiques. De nombreuses rythmiques indus côtoient des enregistrements d'animaux, les effets psychoacoustiques sont aussi présents que les découpages abrupts, on retrouve même des influences grind sur l'avant-dernier titre (et même bien plus que des influences). Et le plus étonnant dans tout cet assemblage de voix ralenties et fantomatiques, de cris bizarres, d'enregistrements de coups de poing et de portes claquées, de basses martiales et de boucles entêtantes, dans ce chaos sonore et naturel, c'est l'homogénéité et l'unité de tous ces morceaux. Qu'ils soient rythmiques, abstraits, chaotiques, linéaires, longs, courts, "dansants", flippants, il y a une ambiance toujours similaire. DP créée des masses sonores sombres, tendues, il recycle des sons quotidiens et les assemble de manière à créer un sentiment de malaise généralisé appelant à la révolte, à la rébellion, à l'organisation et à la prise de conscience.
La musique de DP ne semble pas gratuite. Il ne s'agit pas de faire du bruit pour faire du bruit, ni de recycler l'environnement dans un but seulement esthétique. Sa musique est un coup de poing dans la conscience, un coup de poing dans le consumérisme et le capitalisme, le cauchemar d'un homme, d'une espèce qui s'organise dans un monde en consommant son environnement comme un McDo. Mais ce n'est pas seulement l'idéologie de DP qui est intéressante, c'est surtout son talent de compositeur. On hésite toujours à l'apparenter à telle ou telle scène, à lui coller telle et telle étiquette. Sa musique a tout de la noise, oui, mais également tout de la musique électroacoustique, du field-recording, et de la musique industrielle. Il est tout ça à la fois et rien de tout ça peut-être, et c'est ce qui fait de lui un des musiciens les plus intéressants dans chacun de ces domaines.
DAVE PHILLIPS - Rise (LP, iDEAL, 2017)
Rise, publié en janvier 2017 et épuisé depuis, illustre parfaitement je trouve cet enchevêtrement d'influences et d'esthétiques. De nombreuses rythmiques indus côtoient des enregistrements d'animaux, les effets psychoacoustiques sont aussi présents que les découpages abrupts, on retrouve même des influences grind sur l'avant-dernier titre (et même bien plus que des influences). Et le plus étonnant dans tout cet assemblage de voix ralenties et fantomatiques, de cris bizarres, d'enregistrements de coups de poing et de portes claquées, de basses martiales et de boucles entêtantes, dans ce chaos sonore et naturel, c'est l'homogénéité et l'unité de tous ces morceaux. Qu'ils soient rythmiques, abstraits, chaotiques, linéaires, longs, courts, "dansants", flippants, il y a une ambiance toujours similaire. DP créée des masses sonores sombres, tendues, il recycle des sons quotidiens et les assemble de manière à créer un sentiment de malaise généralisé appelant à la révolte, à la rébellion, à l'organisation et à la prise de conscience.
La musique de DP ne semble pas gratuite. Il ne s'agit pas de faire du bruit pour faire du bruit, ni de recycler l'environnement dans un but seulement esthétique. Sa musique est un coup de poing dans la conscience, un coup de poing dans le consumérisme et le capitalisme, le cauchemar d'un homme, d'une espèce qui s'organise dans un monde en consommant son environnement comme un McDo. Mais ce n'est pas seulement l'idéologie de DP qui est intéressante, c'est surtout son talent de compositeur. On hésite toujours à l'apparenter à telle ou telle scène, à lui coller telle et telle étiquette. Sa musique a tout de la noise, oui, mais également tout de la musique électroacoustique, du field-recording, et de la musique industrielle. Il est tout ça à la fois et rien de tout ça peut-être, et c'est ce qui fait de lui un des musiciens les plus intéressants dans chacun de ces domaines.
DAVE PHILLIPS - Rise (LP, iDEAL, 2017)
Anne Guthrie - Brass Orchids
Je me rappelle toujours, et je suis loin d'oublier, les premières écoutes de Perhaps a favorable organic moment en 2011, un des premiers disques d'Anne Guthrie où on la retrouvait jouant du Bach au cor anglais en faisant un usage prépondérant de l'environnement sonore. Un album où le jeu instrumental aussi bien que les techniques d'enregistrement ouvraient un monde musical nouveau. Je ne sais pas si celui-ci reste mon préféré parce qu'il est le premier que j'ai entendu, car pourtant, à chaque album, j'ai l'impression que cette artiste ne cesse de s'améliorer, de se réinventer et d'explorer des territoires sonores toujours plus profonds et nouveaux.
Brass Orchids est le quatrième album d'Anne Guthrie depuis 2010, et le deuxième vinyle qu'elle publie sur le label Students of decay. Sur celui-ci, il y a moins de présence instrumentale, son fameux cor n'est utilisé que sur la dernière piste, qui n'est pas forcément la plus conséquente. Mais avant cela, Anne Guthrie propose toute une première face composée de trois pièces où ne sont utilisés que des field-recordings, et c'est peut-être dans ce domaine qu'elle excelle dorénvant. Elle propose ici un minutieux montage d'enregistrements simples et quotidiens, intimes ou familiaux. Des enregistrements qui ont en commun de se noyer dans des effets naturels ou non de réverbérations et de filtrage et qui produisent au final un univers complètement fantomatique et spectral où la source ne se distingue pas toujours de l'effet. Parfois, on reconnaît très bien une voix, un piano, le traffic, et d'autres éléments, mais d'autres fois, on est comme plongé dans un nuage de sons réverbérés où la source sonore semble noyée. Ces nuages pourraient faire penser parfois à des pseudo recherches en EVP, s'il n'y avait cet aspect sensible et familier si caractéristique d'Anne Guthrie.
Après cette première face d'étranges quotidiennetés, le morceau Spider nous entraîne dans un nouveau territoire dont je n'avais pas souvenir. Ici Anne Guthrie tire vers les fréquences harsh et agressives et propose une de ses pièces les violentes que j'ai entendu. Une pièce plus "électronique" où interviennent quand même des enregistrements concrets, mais qui est moins axée sur la recherche sonore que sur une construction musicale proche d'un long crescendo où les éléments s'accumulent et deviennent de plus en plus durs et rudes au fil du temps. C'est certainement un des plus beaux enregistrements de Guthrie je trouve, où on retrouve ce parfait équilibre entre le bruit pur, les éléments concrets, des mélodies déformés, le chaos et une organisation formelle, tout ça au service d'une pièce d'une intensité, d'une profondeur et d'une puissance rares. Moins de réverbération pour plus de distorsions, Spider nous plonge dans un cercle infernal et organique qui redonne foi en la noise et n'est pas sans rappeler quelques unes des meilleures productions de Kevin Drumm ou Jason Crumer.
Encore une fois je salue ce disque et cette artiste, qui reste pour moi une des plus passionnantes de ces dernières années. Je salue cette authenticité, cette originalité, tout le travail de recherche et de création de sonorités uniques, ce travail de composition qui fait preuve d'un équillibre remarquable entre des éléments apparemment inconciliables, et je salue surtout la profondeur et l'intensité de l'ensemble de ce travail. Recommandé !
ANNE GUTHRIE - Brass Orchids (LP, Students of Decay, 2018)
Brass Orchids est le quatrième album d'Anne Guthrie depuis 2010, et le deuxième vinyle qu'elle publie sur le label Students of decay. Sur celui-ci, il y a moins de présence instrumentale, son fameux cor n'est utilisé que sur la dernière piste, qui n'est pas forcément la plus conséquente. Mais avant cela, Anne Guthrie propose toute une première face composée de trois pièces où ne sont utilisés que des field-recordings, et c'est peut-être dans ce domaine qu'elle excelle dorénvant. Elle propose ici un minutieux montage d'enregistrements simples et quotidiens, intimes ou familiaux. Des enregistrements qui ont en commun de se noyer dans des effets naturels ou non de réverbérations et de filtrage et qui produisent au final un univers complètement fantomatique et spectral où la source ne se distingue pas toujours de l'effet. Parfois, on reconnaît très bien une voix, un piano, le traffic, et d'autres éléments, mais d'autres fois, on est comme plongé dans un nuage de sons réverbérés où la source sonore semble noyée. Ces nuages pourraient faire penser parfois à des pseudo recherches en EVP, s'il n'y avait cet aspect sensible et familier si caractéristique d'Anne Guthrie.
Après cette première face d'étranges quotidiennetés, le morceau Spider nous entraîne dans un nouveau territoire dont je n'avais pas souvenir. Ici Anne Guthrie tire vers les fréquences harsh et agressives et propose une de ses pièces les violentes que j'ai entendu. Une pièce plus "électronique" où interviennent quand même des enregistrements concrets, mais qui est moins axée sur la recherche sonore que sur une construction musicale proche d'un long crescendo où les éléments s'accumulent et deviennent de plus en plus durs et rudes au fil du temps. C'est certainement un des plus beaux enregistrements de Guthrie je trouve, où on retrouve ce parfait équilibre entre le bruit pur, les éléments concrets, des mélodies déformés, le chaos et une organisation formelle, tout ça au service d'une pièce d'une intensité, d'une profondeur et d'une puissance rares. Moins de réverbération pour plus de distorsions, Spider nous plonge dans un cercle infernal et organique qui redonne foi en la noise et n'est pas sans rappeler quelques unes des meilleures productions de Kevin Drumm ou Jason Crumer.
Encore une fois je salue ce disque et cette artiste, qui reste pour moi une des plus passionnantes de ces dernières années. Je salue cette authenticité, cette originalité, tout le travail de recherche et de création de sonorités uniques, ce travail de composition qui fait preuve d'un équillibre remarquable entre des éléments apparemment inconciliables, et je salue surtout la profondeur et l'intensité de l'ensemble de ce travail. Recommandé !
ANNE GUTHRIE - Brass Orchids (LP, Students of Decay, 2018)
Dharma Quintet - End Starting
Voilà quelques années maintenant que le disquaire parisien Souffle continu a créée son propre label principalement axé sur la réédition en vinyle des trésors oubliés, méconnus ou simplement épuisés de la musique alternative française, notamment en matière de krautrock, free jazz, progressif, RIO : enfin toutes ces musiques qui tentent avant tout d'échapper aux étiquettes. Il y a beaucoup de découvertes à faire sur ce label, beaucoup de perles rares j'imagine, mais je n'ai pas eu le temps d'en écouter tellement, et je n'en avais pas tellement envie avant de tomber sur la réédition de la totalité (?) des albums de Dharma. Si je me suis arrêté sur eux, c'est que je n'avais jamais entendu parler de cette formation plutôt free jazz des années 70 qui a joué en trio et en quintet surtout.
Dès les premières notes d'End Starting (paru en 1971), je pense avoir été convaincu. Il y a l'énergie, l'intensité, les différents phrasés, un superbe équilibre entre l'improvisation et la composition, une rythmique (enfin plusieurs souvent) surpuissante et qui claque menée par Jacques Mahieux à la batterie et Michel Gladieux à la basse, des vents qui dansent et qui crient menés par Jef Sicard. Dès le début je me suis senti plutôt happé par cette flûte et ces saxs lyriques et swinguants, déjantés et précis en même temps. Je me disais, tiens voilà du bon vieux free comme on l'aime, de l'authentique, nerveux, sans concession, tendu, et puissant. Mais ça c'est seulement le début. Là où je me suis vraiment dit que ce disque était fantastique c'est en entendant plus précisément la guitare de Gérard Marais et l'orgue électrique de Patricio Villarroel. Ce ne sont pas tellement eux en tant qu'individus, en tant qu'instrumentistes qu'ils détonnent, tout le monde joue bien mais sans tellement de surprise dans cette formation. C'est la touche électrique et très prog, voire jazz rock (sans connotation péjorative, toutes mes excuses à ceux qui prennent ça pour une insulte) que ces derniers apportent au son de la formation, un son très électrique, grinçant, un son qui rend chaque improvisation et chaque composition encore plus tendue et intense.
Mais au-delà de ce son unique, le Dharma Quintet est aussi surprenant est jouissif car il n'a pas tout misé sur le son, mais également sur la composition, et le "style". Dharma n'est pas une formation free jazz classique, et encore moins une formation de musique improvisée européenne (au sens esthétique de l'appellation). On est très loin de l'improvisation libre anglaise telle qu'elle se pratiquait à cette époque, mais également des grands orchestres d'improvisations collectives allemands et hollandais. Mais on est aussi loin des grands classiques américains souvent calqués. En fait, le Dharma mise plutôt sur une esthétique et une écriture, mais aussi sur des phrasés puisés dans le jazz pur, aussi bien que dans le rock, avec ses breaks incisifs et ses solos qui swinguent. Mais il s'agit d'une sorte de jazz-rock libéré, un jazz-rock très personnel et créatif qui donnera naissance à de nombreux projets RIO ou kraut, mais également à des ensembles de musique improvisée. Mais pour l'instant ce ne sont, et c'est ce que je trouve génial, que des idiomes éclatés ou asservis à des propos uniques et à une esthétique personnelle.
Le Dharma lorgne sur le jazz et le rock pour inventer une musique qui danse, une musique qui prend aux tripes, qui gueule mais qui sait aussi être douce et voluptueuse. Avec des compositions incisives et des improvisations tendues, ce quintet nous plonge dans un univers de danse, de libération, d'explosions, dans une musique de rêve qui est un parfait prolongement des idéaux du free jazz.
DHARMA QUINTET - End Starting (LP, Souffle Continu, 2018)
Dès les premières notes d'End Starting (paru en 1971), je pense avoir été convaincu. Il y a l'énergie, l'intensité, les différents phrasés, un superbe équilibre entre l'improvisation et la composition, une rythmique (enfin plusieurs souvent) surpuissante et qui claque menée par Jacques Mahieux à la batterie et Michel Gladieux à la basse, des vents qui dansent et qui crient menés par Jef Sicard. Dès le début je me suis senti plutôt happé par cette flûte et ces saxs lyriques et swinguants, déjantés et précis en même temps. Je me disais, tiens voilà du bon vieux free comme on l'aime, de l'authentique, nerveux, sans concession, tendu, et puissant. Mais ça c'est seulement le début. Là où je me suis vraiment dit que ce disque était fantastique c'est en entendant plus précisément la guitare de Gérard Marais et l'orgue électrique de Patricio Villarroel. Ce ne sont pas tellement eux en tant qu'individus, en tant qu'instrumentistes qu'ils détonnent, tout le monde joue bien mais sans tellement de surprise dans cette formation. C'est la touche électrique et très prog, voire jazz rock (sans connotation péjorative, toutes mes excuses à ceux qui prennent ça pour une insulte) que ces derniers apportent au son de la formation, un son très électrique, grinçant, un son qui rend chaque improvisation et chaque composition encore plus tendue et intense.
Mais au-delà de ce son unique, le Dharma Quintet est aussi surprenant est jouissif car il n'a pas tout misé sur le son, mais également sur la composition, et le "style". Dharma n'est pas une formation free jazz classique, et encore moins une formation de musique improvisée européenne (au sens esthétique de l'appellation). On est très loin de l'improvisation libre anglaise telle qu'elle se pratiquait à cette époque, mais également des grands orchestres d'improvisations collectives allemands et hollandais. Mais on est aussi loin des grands classiques américains souvent calqués. En fait, le Dharma mise plutôt sur une esthétique et une écriture, mais aussi sur des phrasés puisés dans le jazz pur, aussi bien que dans le rock, avec ses breaks incisifs et ses solos qui swinguent. Mais il s'agit d'une sorte de jazz-rock libéré, un jazz-rock très personnel et créatif qui donnera naissance à de nombreux projets RIO ou kraut, mais également à des ensembles de musique improvisée. Mais pour l'instant ce ne sont, et c'est ce que je trouve génial, que des idiomes éclatés ou asservis à des propos uniques et à une esthétique personnelle.
Le Dharma lorgne sur le jazz et le rock pour inventer une musique qui danse, une musique qui prend aux tripes, qui gueule mais qui sait aussi être douce et voluptueuse. Avec des compositions incisives et des improvisations tendues, ce quintet nous plonge dans un univers de danse, de libération, d'explosions, dans une musique de rêve qui est un parfait prolongement des idéaux du free jazz.
DHARMA QUINTET - End Starting (LP, Souffle Continu, 2018)
Bruno Duplant - Chamber and Field Works (2015-2017)
Quand je repense aux premiers enregistrements que j'ai entendu de Bruno Duplant au début des années 2010, lorsqu'il jouait de la contrebasse dans des formations d'improvisation libre à distance, je suis vraiment surpris de voir tout le chemin que ce musicien a parcouru. A cette période je n'aurais jamais imaginé qu'il devienne compositeur, et j'imaginais encore moins que ses pièces seraient réalisées par Taku Sugimoto. (Pareil pour ceux qui ont connu Sugimoto à la fin des années 80, début 90, lorsqu'il faisait de la guitare dans un groupe psyché, qui aurait imaginé qu'il dirigerait un orchestre de chambre quelques décennies plus tard ?) Et pourtant, quelques années et quelques dizaines de disques plus tard, voilà bien trois pièces de Duplant réalisées par un orchestre de chambre japonais (dirigé par Sugimoto) et une pièce mixte jouée par Sugimoto, présentées dans un très beau double CD publié sur another timbre.
Le premier disque regroupe les trois pièces les plus instrumentales, réalisées par le Suidobashi Chamber Ensemble avec Aya Naito au basson et à la voix, Hikaru Yamada à l'électronique, Masahiko Okura aux clarinettes soprano et contrebasse, Taku Sugimoto aux guitare et mandoline, Wakana Ikeda à la flûte et à l'harmonica et Yoko Ikeda au violon et à la viole. Il y a quelque chose de poétique et d'onirique dans ces pièces. Un quelque chose qui laisse songeur, rêveur. Ca ne paraît pas aux premiers instants, mais très vite on se laisse immerger dans ce flot étrange de notes tenues, parfois mélodieuses, parfois grinçantes. De longs sons parfois entrecoupés de bruits, qui ne laissent aucune place au silence et au repos, mais ne sont jamais ni si tendues ni agressives. Il n'y a pas besoin de repos à vrai dire, même si ce ne sont pas des drones et que ces pièces sont toujours en mouvement, il y a une constance dans la dynamique et cette constance suffit à elle-seule à construire une pièce. On se retrouve ainsi avec un ensemble de pièces où les notes glissent, émergent et se noient, dans un tout qui a quelque chose d'aquatique, de marin. Cet aspect marin, c'est l'équilibre très juste entre la constance du mouvement global et l'imprévisibilité de ce qui le constitue (chaque intervention instrumentale en fait). Bruno Duplant semble jouer sur cet équilibre entre linéarité et incertitude, et c'est ce jeu qui nous plonge dans une sorte de rêve éveillé où tout semble familier sans que l'on sache jamais vraiment où nous sommes ou ce qui va arriver.
Quant au deuxième disque, il est complètement différent dans la forme, et pourtant, il fait quand même ressurgir des émotions similaires. Il s'agit ici d'une longue pièce de 45 minutes pour field-recordings et guitare, réalisée par Taku Sugimoto seul. Ce dernier a réalisé cette pièce à partir de longs enregistrements bruts de parcs où se mêlent oiseaux, enfants, sons urbains lointains, machines d'espace vert, etc. Et à travers ces field-recordings, Taku Sugimoto dissémine avec parcimonie des notes de guitares pincées ou frottées, entrecoupées de longs silences, et jouées avec beaucoup de finesse. Alors non ça ne ressemble pas du tout au premier disque, et pourtant on retrouve de nombreux points communs, ceux qui faisaient justement la beauté des premières pièces pour orchestre de chambre. On retrouve cet équilibre étrange dans l'incertitude des enregistrements, dans la durée des silences et des notes, d'un côté, et toujours une constance dans les dynamiques des enregistrements comme de la guitare. Cet équilibre est aussi celui entre la composition et la place laissée au hasard, car les partitions du Duplant laisse une grande marge à Sugimoto afin que ce dernier fasse autant partie du processus de création que le compositeur lui-même.
C'est l'équilibre entre la composition et la réalisation, entre la détermination et l'indétermination, entre le bruit et la musique qui font de ces pièces des pièces qui ressemblent à des morceaux de vie, des pièces vivantes et organiques malgré leur minimalisme. Un équilibre "fragile" et une beauté instrumentale qui font de ces pièces des instants qui nous plongent dans un état autre, rêveur, "mélancolique" dirait Bruno Duplant.
BRUNO DUPLANT - Chamber and Field Works (2015-2017) (2CD, another timbre, 2018)
C'est l'équilibre entre la composition et la réalisation, entre la détermination et l'indétermination, entre le bruit et la musique qui font de ces pièces des pièces qui ressemblent à des morceaux de vie, des pièces vivantes et organiques malgré leur minimalisme. Un équilibre "fragile" et une beauté instrumentale qui font de ces pièces des instants qui nous plongent dans un état autre, rêveur, "mélancolique" dirait Bruno Duplant.
BRUNO DUPLANT - Chamber and Field Works (2015-2017) (2CD, another timbre, 2018)
Jean-Luc Guionnet & Thomas Tilly - Stones, Air, Axioms / Delme
C’est en 2012 qu’a été publiée la première partie du projet Stones, Air, Axioms, qui réunit Jean-Luc Guionnet et Thomas Tilly à l’intérieur de bâtiments
religieux. La première installation s’était déroulée à la cathédrale de
Poitiers (qu’on peut retrouver en CD), la deuxième dans une église polonaise,
et enfin, dans la synagogue de Delme. Il s’agit dans ce projet d’investir une
architecture particulière de manière sonore. Alors bien sûr, ce ne sont pas les
premiers à exploiter la réverbération et l’acoustique propre à ce type d’architecture,
mais Guionnet et Tilly vont beaucoup plus loin ici. Car après un examen des
plans architecturaux, ils relèvent les dimensions du bâtiment pour les
transposer, d’une part en fréquences sonores, puis en notes. L’architecture n’est pas seulement
instrumentalisée dans ce projet, elle est la matière même de la musique.
Le premier volume de ce projet ne m’a pas laissé beaucoup de
souvenirs après ces années. Ce dont je me rappelle, c’est d’un enregistrement
assez froid, austère, majoritairement composé de sinusoïdes, mais qui manquait
un peu de vie. Mais avec ces années, il semblerait que Guionnet et Tilly aient continué de peaufiner ce projet et de l’enrichir de manière spectaculaire. Durant cette installation, des haut-parleurs étaient disposés au
sein de la synagogue ainsi qu’à l’extérieur, ces derniers diffusaient toujours
des sinusoïdes (de manière aléatoire), des voix récitant une prière Dogon (en
français, en sigi so et en hébreu), des témoignages mystico-spirituels d’amis,
et des enregistrements instrumentaux (percussions, violon alto et cornemuse).
Si la « matière » sonore du premier volume de ce
projet n’était composé que d’orgue et de sinusoïdes, on voit qu’elle s’est
beaucoup enrichie ici. Mais l’élargissement n’est pas que sonore : l’introduction
d’enregistrements vocaux, mais aussi d’instrumentistes et d’amis, confère à
cette installation certaines dimensions qui ne sont plus qu’artistiques et
esthétiques. Cette dernière possède également des côtés très intimes, mystiques
et spirituels qui d’une part, font écho à la synagogue et sa fonction bien sûr,
mais donne surtout plus de vie à cette installation qui sort un peu de l’abstraction
et du formalisme. Tous ces « objets » - comme ils les nomment - sont
autant d’univers différents empreints de beauté et de charme. Des univers
dédiés à des haut-parleurs qui font vivre la synagogue aussi bien que la
synagogue paraît vivre à travers eux. Toutes ces touches personnelles, ces
objets, s’ils ne retranscrivent peut-être pas exactement l’architecture du
lieu, permettent néanmoins de la ressentir. Car tout ce qu’il y d’humain dans ces enregistrements, tout le signifiant
de ces objets, permet une approche commune du lieu, qu’on soit présent ou non.
Guionnet et Tilly ont également fait un grand effort « postproduction »
si l’on peut dire. Ils ne se sont pas contenté de faire de simples captures
sonores de l’installation mais ont véritablement composé une nouvelle pièce
pour la publication. Dans les 20 pièces qui forment ce disque, on retrouve
certains des objets diffusés (enregistrements vocaux ou instrumentaux), ainsi que
des doubles enregistrements mobiles, des enregistrements stéréo, statiques ou
non, mais toujours bruts. Le montage de ces différentes sources et techniques
rend le tout encore plus vivant et accueillant, il ne cesse de surprendre.
De manière générale ce disque est une vraie surprise et une
vraie réussite. Il partage la profondeur du mysticisme, la beauté sonore du
field-recording, l’intelligence formelle et la sensibilité esthétique de l’art
sonore, l’intensité et l’aspect organique de la musique. Un disque comme on n’en
a jamais entendu et qui ne se laissera pas oublier.
JEAN-LUC GIONNET & THOMAS TILLY - Stones, Air, Axioms / Delme (2xLP, Fragment Factory, 2018)
Vanessa Rossetto - Fashion Tape
Hello. Welcome and please come in. This is a demo.
C'est sur ces mots que s'ouvre la nouvelle cassette de Vanessa Rossetto. Des mots simples accompagnés d'un sample et suivis de field-recordings bruts. Le ton est donné. Car tout au long de cette cassette nous retrouverons des voix (provenant de field-recordings ou non), des boucles et des enregistrements bruts, plus quelques sons de synthèse pas beaucoup plus compliqués.
Contrairement à la pochette, la musique de Rossetto n'est pas si bigarée. Elle est plutôt simple et claire, mais d'une beauté et d'une inventivité rares. Mais ceci dit il y a quand même un éclatement de couleurs et des collages improbables ou surprenants à l'image de cette superbe séquence de synthétiseur très rapide sur Fake Cheese. Ce qui fait la beauté de ces compositions, c'est que malgré la simplicité des sources, Fashion Tape ne cesse de surprendre de par la diversité des timbres, des dynamiques et des couleurs sonores.
Samples sirupeux, fréquences simples, field-recordings urbains abrasifs et modulations agressives se mélangent ou se succèdent dans différents collages sonores éblouissants. Vanessa Rossetto nous entraîne dans des univers sonores variés, du plus intime au plus impersonnel, du plus ringard au plus fort et agressif. Un voyage qui vaut le coup car il fait partie de ces créations uniques qui ne ressemblent à rien d'autre. Vanessa Rossetto a su construire tout un univers qui ne lui appartient qu'à elle, et une forme personnelle de collage sonique et d'art sonore.
(Les copies ayant toutes été vendues une semaine après leur parution, Fashion Tape est dorénavant disponible gratuitement sur le bandcamp de No Rent, cf. lien ci-dessous.)
VANESSA ROSSETTO - Fashion Tape (cassette, 2018, No Rent)
Jérôme Noetinger - dr
Fondateur et acteurs au sein de labels, de catalogue de distribution, d'ensembles électroacoustique ou multi-disciplinaire, Jérôme Noetinger a un parcours musical et artistique trop vaste pour en parler ici. Mais ces dernières années, ses activités bénévoles se réduisent petit à petit avec notamment la fin de son activité au sein de Revue & Corrigée et la vente du catalogue de distribution Metamkine. Est-ce que ça a un rapport, mais cette diminution de ses activités correspond avec la parution de son premier solo. Car aussi étonnant que cela puisse paraître, après toutes ces collaborations avec des musiciens aussi variés que Keith Rowe, Lionel Marchetti, John Tilbury, Sec_, Will Guthrie, Anthony Pateras, Voice Crack ou Soixante Etages, après une vingtaine d'années de publications, on n'avait pas encore vu un seul solo de Noetinger, musicien hors-pair qui a fait de l'exploration sonore (et surtout électroacoustique) un art à part entière, notamment à travers l'utilisation du Revox.
Mais avec cette nouvelle année nous parvient enfin un album solo de ce dernier. Le travail de Noetinger ne m'est pas étranger, et son album ne nous réserve pas tant de surprise quand on connaît un peu ses productions ou ses lives. Mais c'est quand même avec un grand bonheur qu'on peut enfin l'entendre dans un cadre disons plus intime, plus personnel. Jingles, chansons populaires, discours radiophoniques, publicités, objets détournés, et synthés analogiques sont bouclés, travaillés et entremêlés aux bandes magnétiques du Revox. Peu importe la source, seul compte le résultat en fait. Et le résultat est une exploration du son sous toutes ses coutures : qu'il soit faible, fort, aigu, musical, bruitiste, simple, complexe, propre, dégradé, l'univers sonore de Noetinger ne connaît aucune limite et tout peut s'intégrer dans les structures éclatées de ses compositions.
Car il ne s'agit pas que de manipulations et d'explorations du son, ce qui importe c'est aussi de construire quelque chose de cohérent avec cette "matière". C'est peut-être là que Noetinger excelle et c'est dans ce contexte (en solo donc) qu'on peut l'apprécier à sa juste valeur. Les dynamiques et les intensités sont au cœur de cette musique, et ces dernières se travaillent soit à partir du son lui-même, soit à travers la composition (et peu importe à vrai dire qu'elle soit improvisée ou non ici). Les structures ressemblent ici à un gigantesque jeu de montage et découpage parfois brutal, parfois plus souple. Un jeu où se jouent les dynamiques sonores, où chaque son prend toute sa forme et son sens. Les "matériaux" sonores utilisés semblent illimités, mais ils se fondent néanmoins dans un tout cohérent, dans une forme de narration personnelle et intime où le son se raconte lui-même. Ce qui fait la force de ces montages et découpages, de ces structures qui paraissent éclatées, ce ne sont pas leur forme, mais le sens et la puissance qu'elles donnent au son.
A l'heure qu'il est, si Jérôme Noetinger décide de consacrer plus de temps à son activité musicale qu'à ses nombreuses activités bénévoles, et quand bien même ces dernières comptent énormément pour la diffusion des musiques expérimentales, ce disque ne peut que laisser accepter ces nouvelles avec joie. Car oui, j'aimerais entendre beaucoup plus de productions de ce dernier, en solo ou non, mais voilà le genre de disque qui laisse espérer que ce musicien n'arrêtera jamais ses recherches musicales. Un artiste sans limite qui possède une personnalité artistique si forte, qui propose une musique aussi bien construite que n'importe quelle musique savante (même mieux souvent au regard des musiques dites "contemporaines") et aussi puissante que le meilleur groupe de grind, on n'en veut toujours plus forcément.
JEROME NOETINGER - dr (CD, Pied Nu, 2018)
Mais avec cette nouvelle année nous parvient enfin un album solo de ce dernier. Le travail de Noetinger ne m'est pas étranger, et son album ne nous réserve pas tant de surprise quand on connaît un peu ses productions ou ses lives. Mais c'est quand même avec un grand bonheur qu'on peut enfin l'entendre dans un cadre disons plus intime, plus personnel. Jingles, chansons populaires, discours radiophoniques, publicités, objets détournés, et synthés analogiques sont bouclés, travaillés et entremêlés aux bandes magnétiques du Revox. Peu importe la source, seul compte le résultat en fait. Et le résultat est une exploration du son sous toutes ses coutures : qu'il soit faible, fort, aigu, musical, bruitiste, simple, complexe, propre, dégradé, l'univers sonore de Noetinger ne connaît aucune limite et tout peut s'intégrer dans les structures éclatées de ses compositions.
Car il ne s'agit pas que de manipulations et d'explorations du son, ce qui importe c'est aussi de construire quelque chose de cohérent avec cette "matière". C'est peut-être là que Noetinger excelle et c'est dans ce contexte (en solo donc) qu'on peut l'apprécier à sa juste valeur. Les dynamiques et les intensités sont au cœur de cette musique, et ces dernières se travaillent soit à partir du son lui-même, soit à travers la composition (et peu importe à vrai dire qu'elle soit improvisée ou non ici). Les structures ressemblent ici à un gigantesque jeu de montage et découpage parfois brutal, parfois plus souple. Un jeu où se jouent les dynamiques sonores, où chaque son prend toute sa forme et son sens. Les "matériaux" sonores utilisés semblent illimités, mais ils se fondent néanmoins dans un tout cohérent, dans une forme de narration personnelle et intime où le son se raconte lui-même. Ce qui fait la force de ces montages et découpages, de ces structures qui paraissent éclatées, ce ne sont pas leur forme, mais le sens et la puissance qu'elles donnent au son.
A l'heure qu'il est, si Jérôme Noetinger décide de consacrer plus de temps à son activité musicale qu'à ses nombreuses activités bénévoles, et quand bien même ces dernières comptent énormément pour la diffusion des musiques expérimentales, ce disque ne peut que laisser accepter ces nouvelles avec joie. Car oui, j'aimerais entendre beaucoup plus de productions de ce dernier, en solo ou non, mais voilà le genre de disque qui laisse espérer que ce musicien n'arrêtera jamais ses recherches musicales. Un artiste sans limite qui possède une personnalité artistique si forte, qui propose une musique aussi bien construite que n'importe quelle musique savante (même mieux souvent au regard des musiques dites "contemporaines") et aussi puissante que le meilleur groupe de grind, on n'en veut toujours plus forcément.
JEROME NOETINGER - dr (CD, Pied Nu, 2018)
Eva-Maria Houben - Voice with piano
C'est il y a environ quatre ans que j'avais découvert la superbe voix d'Irene Kurka sur un disque consacré simultanément à des oeuvres de John Cage et de Hildegard von Bingen. Au-delà de la surprise de voir ces deux compositeurs que tout semble opposer réunis sur un disque, c'est surtout la voix de Kurka qui
m'avait franchement envouté. Et bien sûr, c'est avec autant de plaisir
que j'ai reçu cette nouvelle collaboration avec une musicienne tout
aussi admirable de mon point de vue : la pianiste et organiste Eva-Maria Houben, grande habituée du label wandelweiser.
J'ai passé de nombreuses heures ces derniers mois à écouter ou réécouter des disques qui ont fait la gloire de l'indus entre la fin des années 70 et le début des années 80, et parfois, entre les premières expériences extrêmes de SPK, un album de Whitehouse ou une expérimentation électronique dégeulasse et décalée de Throbbing Gristle, pour me reposer, passer à autre chose de radicalement différent, je mettais Voice with piano. Dans ce contexte, forcément, ces trois compositions d'Eva-Maria Houben jouées par elle-même au piano et Kurka à la voix apparaissaient extrêmement raffraichissantes et d'une pureté religieuse. Mais même en-dehors de ce contexte, en écoutant ce disque pour lui-même, je n'ai trouvé que de la beauté, de la simplicité et une forme de musique entre le lied et la chanson qui n'est pas sans radicalité.
Les accords de Houben sont très épars, voire disséminés, et entre eux, la voix de Kurka chante avec douceur et simplicité des vers (allemands) tendances minimalistes également. On ne s'étonnera pas de la présence très forte du silence toujours. En fait, je pense que sans ce silence, cette musique pourrait être ennuyeuse. C'est le silence qui donne ici toute la force et l'intensité de chaque intervention (autant du piano que de la voix). Même si les réalisations sont fragiles, subtiles et simples, belles et délicates, il semble à chaque écoute que c'est principalement le silence qui confère toute la force de ces réalisations. L'équilibre entre l'absence de sons, les mélodies, le texte et la musique a quelque chose de saisissant, car il relève de la perfection. C'est saisissant comme tout paraît beau et naturel, simple et équilibré.
Ces trois compositions d'Eva-Maria Houben, jouées avec tant de finesse et sans lyrisme excessif, autant par la pianiste que par Irene Kurka, relèvent de la poésie pure, en tant que forme sonore et musicale. Elles nous plongent dans un monde de mots où ces derniers sont autant de sonorités et de signes qu'une partition. Mais c'est également un monde de musique pure où la mélodie n'a pas besoin de développement magistral, juste un point d'orgue réduit à un silence qui fait sens. Des mélodies réduites au strict nécessaire, des vers également réduits, tout ceci pour faire vivre un silence éternel et sensationnel.
EVA-MARIA HOUBEN - Voice with piano (CD, wandelweiser, 2017)
J'ai passé de nombreuses heures ces derniers mois à écouter ou réécouter des disques qui ont fait la gloire de l'indus entre la fin des années 70 et le début des années 80, et parfois, entre les premières expériences extrêmes de SPK, un album de Whitehouse ou une expérimentation électronique dégeulasse et décalée de Throbbing Gristle, pour me reposer, passer à autre chose de radicalement différent, je mettais Voice with piano. Dans ce contexte, forcément, ces trois compositions d'Eva-Maria Houben jouées par elle-même au piano et Kurka à la voix apparaissaient extrêmement raffraichissantes et d'une pureté religieuse. Mais même en-dehors de ce contexte, en écoutant ce disque pour lui-même, je n'ai trouvé que de la beauté, de la simplicité et une forme de musique entre le lied et la chanson qui n'est pas sans radicalité.
Les accords de Houben sont très épars, voire disséminés, et entre eux, la voix de Kurka chante avec douceur et simplicité des vers (allemands) tendances minimalistes également. On ne s'étonnera pas de la présence très forte du silence toujours. En fait, je pense que sans ce silence, cette musique pourrait être ennuyeuse. C'est le silence qui donne ici toute la force et l'intensité de chaque intervention (autant du piano que de la voix). Même si les réalisations sont fragiles, subtiles et simples, belles et délicates, il semble à chaque écoute que c'est principalement le silence qui confère toute la force de ces réalisations. L'équilibre entre l'absence de sons, les mélodies, le texte et la musique a quelque chose de saisissant, car il relève de la perfection. C'est saisissant comme tout paraît beau et naturel, simple et équilibré.
Ces trois compositions d'Eva-Maria Houben, jouées avec tant de finesse et sans lyrisme excessif, autant par la pianiste que par Irene Kurka, relèvent de la poésie pure, en tant que forme sonore et musicale. Elles nous plongent dans un monde de mots où ces derniers sont autant de sonorités et de signes qu'une partition. Mais c'est également un monde de musique pure où la mélodie n'a pas besoin de développement magistral, juste un point d'orgue réduit à un silence qui fait sens. Des mélodies réduites au strict nécessaire, des vers également réduits, tout ceci pour faire vivre un silence éternel et sensationnel.
EVA-MARIA HOUBEN - Voice with piano (CD, wandelweiser, 2017)
Cristian Alvear, Makoto Oshiro, Shinjiro Yamaguchi, Hiroyuki Ura - Lucky Names
Lucky Names est un ensemble de trois compositions étranges et quelque peu minimalistes/réductionnistes qui ont une certaine tendance à abolir la frontière (déjà bien ténue depuis les musiques électroacoustiques) entre les matériaux musicaux et extramusicaux. Une tendance qui laisserait penser qu'au milieu de ces quatre musiciens (Cristian Alvear, Makoto Oshiro, Shinjiro Yamaguchi et Hiroyuki Ura), on pourrait très bien trouver Taku Unami ou Graham Lambkin... Bien sûr la première pièce, Repeat and Memory, composée par Shinjiro Yamaguchi, n'y est pas pour rien avec son mélange surprenant et hypnotique de métronome, de field-recordings bruts et de récitations entremêlées. C'est certainement ici que la musique est la moins musicale avec tous ces matériaux hors-normes qui, grâce à la structure, finissent tout de même par former une musique plutôt sensible et chaleureuse malgré l'apparence froide et austère du premier abord.
Mais si sur les deux autres pièces (Lucky Names, composée par Makoto Oshiro, et Sin Titulo #18 de Nicolas Carrasco) les instruments sont au premier plan (guitare et percussion) et nous entraînent dans des territoires plus connus et familiers (proches du réductionnisme), il n'en reste pas moins que chaque pièce tend tout de même à vouloir sortir du musical. Les instruments semblent plus frappés que joués, les formes semblent parfois lacérer les pièces. Particulièrement dans Sin Titulo #18, nous ne sommes jamais un l'abri dans silence qui vient littéralement découper dans le son, avec une soudaineté et une brusquerie détonnantes. Le jeu des instrumentistes a quelque chose d'austère et froid, de rigide et "inorganique". Les musiciens s'effacent avec leur personnalité, leur sonorité et leur instrument pour ne laisser apparaître qu'une forme pure, toute puissante et belle. Il s'agit bien là d'une musique formelle non au sens péjoratif, mais au sens où le son et les musiciens ne sont plus que des instruments de la composition, ils ne sont plus qu'un outil au profit de la création d'une idée. Et heureusement, ces idées et ces formes ne sont pas aussi froides et rigides que la réalisation, elles nous entraînent au contraire dans des paysage poétiques, chaleureux, sensibles et beaux où le musical et l'extramusical, le silence et le son, la voix et la parole, la forme et le fond ne font plus qu'un dans un univers suprenant et créatif qui va au-delà du simple minimalisme et du formalisme (au sens péjoratif cette fois) réductionniste.
CRISTIAN ALVEAR, MAKOTO OSHIRO, SHINJIRO YAMAGUCHI, HIROYUKI URA - Lucky Names (Wild Silence, CD, 2017)
Mais si sur les deux autres pièces (Lucky Names, composée par Makoto Oshiro, et Sin Titulo #18 de Nicolas Carrasco) les instruments sont au premier plan (guitare et percussion) et nous entraînent dans des territoires plus connus et familiers (proches du réductionnisme), il n'en reste pas moins que chaque pièce tend tout de même à vouloir sortir du musical. Les instruments semblent plus frappés que joués, les formes semblent parfois lacérer les pièces. Particulièrement dans Sin Titulo #18, nous ne sommes jamais un l'abri dans silence qui vient littéralement découper dans le son, avec une soudaineté et une brusquerie détonnantes. Le jeu des instrumentistes a quelque chose d'austère et froid, de rigide et "inorganique". Les musiciens s'effacent avec leur personnalité, leur sonorité et leur instrument pour ne laisser apparaître qu'une forme pure, toute puissante et belle. Il s'agit bien là d'une musique formelle non au sens péjoratif, mais au sens où le son et les musiciens ne sont plus que des instruments de la composition, ils ne sont plus qu'un outil au profit de la création d'une idée. Et heureusement, ces idées et ces formes ne sont pas aussi froides et rigides que la réalisation, elles nous entraînent au contraire dans des paysage poétiques, chaleureux, sensibles et beaux où le musical et l'extramusical, le silence et le son, la voix et la parole, la forme et le fond ne font plus qu'un dans un univers suprenant et créatif qui va au-delà du simple minimalisme et du formalisme (au sens péjoratif cette fois) réductionniste.
CRISTIAN ALVEAR, MAKOTO OSHIRO, SHINJIRO YAMAGUCHI, HIROYUKI URA - Lucky Names (Wild Silence, CD, 2017)
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