La
plupart des disques appartenant à cette série berlinoise ont pour l’instant été
pour une grande part porches de l’echtzeitmuzik, mais pour le cinquième volume,
une autre composante très influente de la musique berlinoise apparaît
enfin : le collectif Wandelweiser. Car de nombreux musiciens s’intéressent
aujourd’hui à ce collectif, en Allemagne et plus particulièrement à Berlin, il
était donc nécessaire qu’au moins une réalisation d’une partition issue de ce
collectif soit éditée dans cette série, même si les compositeurs issus de
Wandelweiser ne résident vraiment pas majoritairement dans cette ville. The
Berlin Series no. 5 est donc une version de tschirtner tunings for twelve,
une partition composée en 2005 par Antoine
Beuger, et réalisée ici par Konzert
Minimal, un collectif de musiciens qui réunit pour cette performance(enregistrée
à ausland - Berlin - en 2013) Pierre
Borel au saxophone alto, Lucio
Capece à la clarinette basse, Johnny
Chang et Catherine Lamb au
violon alto, Hannes Lingens à
l’accordéon, Mike Majkowski, Derek Shirley et Koen Nutters à la contrebasse, Morten
J. Olsen au vibraphone, Nils
Ostendorf à la trompette, Rishin
Singh au trombone, et Michael Thieke
à la clarinette. Et oui, toute la fine fleur des musiques nouvelles
berlinoises semble s’être réunie pour cette longue performance d’une heure et
vingt minutes en somme.
Antoine Beuger est
certainement le compositeur le plus influent de Wandelweiser, il est celui qui
a le plus contribué à créer une sorte de marque de fabrique basée sur de
longues notes tenues et du silence. Tout le collectif n’adopte pourtant pas
cette méthode mais c’est ce qui est le plus retenu et le plus courant
dorénavant, surtout chez ceux qui s’inspirent de Wandelweiser - notamment chez
les improvisateurs. Ceci-dit, quand j’écoute les compositions de Beuger, j’ai
l’impression d’entendre des variations d’une même pièce, et ce n’est pas son
influence prononcée qui m’aide à me débarrasser d’une impression constante de
déjà-entendu. Mais Beuger possède aussi ses particularités et n’écrit jamais
deux fois la même pièce. Si les durées sont souvent indéterminées, le choix des
notes l’est souvent moins, le bruit n’est pas si souvent présent - le bruit
produit par les musiciens, pas celui de l’environnement - et quand au silence
il est toujours là d’une manière ou d’une autre. Et pour tschirtner tunings, le principe est de réalisé une suite d’accords
qui pourraient ressembler à un accordage en début de concert. Ce sont ici des
accords bien particuliers, qui ne sont pas plaqués - les entrées de chaque
instrumentiste sont très différées - où les notes ne semblent pas indiquées non
plus, mais où la texture de l’accord est par contre bien précisée. Chaque
instrument se voit attribué un mode de jeu bien précis, qu’il répète à chaque
accord. L’accordéon et la trompette doivent jouer comme des sinusoïdes, le
vibraphone doit jouer des notes aigues, l’alto des notes granuleuses, et les
soufflants graves des notes où le souffle est présent. Les entrées, le choix
des notes et de leur durée font la différence entre chaque accord. Il s’agit
d’un accord répété, toujours pareil mais jamais identique, un accord qui a
toujours la même texture mais jamais le même caractère selon le nombre de
musiciens qui jouent simultanément, selon la durée de chaque note, selon la
durée des silences précédents et suivants. Les attaques, le volume et les modes
de jeux sont toujours identiques, mais le résultat n’est jamais le même,
Konzert Minimal propose ici une longue suite de variations sur cette texture
tendue, ténue, fine, dure et sombre.
Bien sûr, c’est long et assez austère. Mais la musique de
Beuger n’est jamais très facile. Il faut toujours prendre le temps de rentrer
dedans, de se laisser aborder, de s’immerger. On peut aussi parfois l’écouter
de manière distraite je pense, comme une sorte de fonds harmonieux étrange, car
cette musique laisse une douce atmosphère d’harmonie, malgré la tension de
cette texture très vivante quand on est plus attentif. La musique de Beuger,
ici et de manière générale, est belle, mais d’une beauté froide, dure et
extrême. Mais c’est aussi une beauté poétique et créative.
LAURENCE CRANE – Chamber Works 1992-2009 (2CD, another timbre, 2014) : lien
LANDSCAPE QUARTET / SABINE VOGEL & CHRIS
ABRAHAMS – The Berlin series no. 4 (CD, another timbre, 2014) : lien
ROANANAX / OBLIQ – The Berlin series no. 3 (CD, another timbre, 2014) : lien
ANTOINE BEUGER / KONZERT MINIMAL – The Berlin series no. 5 (CD, another timbre, 2014) : lien