De mon côté, je n’avais même pas ne serait-ce qu’entendu le
nom de ce compositeur avant de voir ce disque. Je ne sais pas si d’autres
disques sont disponibles, depuis combien il compose, ni rien ; j’imagine
seulement que c’est un compositeur anglais de la même génération qu’Antoine
Beuger, un compositeur fortement marqué par Cage et les minimalistes
américains. C’est en tout cas ce que laisse penser cette douzaine de pièces
présentées sur ce disque. Et même si je parle ici de Cage, de Beuger et des
minimalistes, je dois tout de suite dire que Crane se démarque fortement de
Wandelweiser et du minimalisme américain, qu’il se démarque d’ailleurs de
toutes tendances et de toutes références.
Crane me fait l’effet d’un compositeur vraiment atypique,
qui écrit une musique très personnelle. Peut-être qu’il s’agit d’une forme de
minimalisme, contrairement à ce que Pisaro peut en dire, car Crane utilise
souvent de longues notes tenues, ou joue sur la répétition constante d’un
demi-ton, on a aussi parfois d’entendre certaines des compositions
tintinabulliques d’Arvo Pärt. Les notes sont longues, avec de longues
résonances ou de longues tenues, elles sont fortement espacées, il n’y a
presque pas de pulsation perceptible, tous les éléments sont répétées au
millimètre près, ou simplement transposés quand il s’agit d’une sorte de figure
musicale. Mais là où Crane s’écarte fortement du minimalisme européen en tout
cas, et de Wandelweiser, c’est dans son approche très narrative et dramatique
de la composition. Crane utilise volontairement des intervales et des accords
harmonieux, des quintes, des accords parfaits majeurs, et autres figures
musicales qui font tout de suite leur effet. Crane compose avec des
éléments harmoniques souvent lumineux, des accords doux, émotionnellement
intenses, dramatiques. De plus, Crane joue avec la structure de manière
dramatique, la répétition et les transpositions ainsi que l’ajout progressif
d’éléments racontent une histoire, une histoire abstraite et épurée, mais riche
au niveau narratif et émotionnel. La musique de Crane, en résumé, semble aussi
épurée et réduite au niveau harmonique, que riche et complexe au niveau
émotionnel et structurel.
Je n’ai pas très envie de parler de chaque pièce dans cette
chronique, car il y en a beaucoup, et quitte à détailler, ce serait plus
intéressant de faire des analyses musicologiques peut-être, ce dont je ne suis
pas capable. Je préfère donc en parler
de manière générale, et simplement présenter ce disque comme je le peux. Et
c’est difficile. Pourquoi ? et bien simplement parce qu’il est sublime, et
que j’ai du mal à cerner pourquoi il est aussi touchant et renversant. Crane
parvient à composer d’une manière simple mais riche, on dirait qu’il compose en
économisant ses moyens, mais tout en bouleversant. C’est beau, tout simplement
beau, mais Crane atteint une beauté très personnelle, avec des éléments
musicaux banals et des formes plus singulières, Crane parvient à atteindre des
émotions musicales comme seuls quelques rares compositeurs y parviennent. Donc
évidemment, voici un disque hautement recommandé, une des plus belles
découvertes de l’année assurément.