Je ne crois pas que les lecteurs de ce blog auront besoin
d’une présentation d’Eric La Casa,
un des plus remarquables artistes sonores français à utiliser les
enregistrements comme un instrumentiste. Quant à Seijiro Murayama, ce musicien japonais qui a résidé en France de nombreuses années avant de retourner au Japon, ce sont surtout ses soli de caisse claire - qui
sont vraiment géniaux soit dit en passant - qui l’ont fait connaître, mais
parallèlement, Murayama utilise également la voix et les enregistrements
(peut-être même exclusivement à l’heure qu’il est), comme dans cette nouvelle
collaboration avec Eric La Casa.
Un disque intitulé Paris : public spaces, pour
voix et enregistrements plus field-recordings. Voyant ceci et connaissant les
précédents travaux de ces artistes, c’est assez facile de se faire une idée
plutôt claire de ce qui va sortir de cette collaboration, et même si je
m’attendais à peu près à ce que j’ai entendu, chaque écoute n’a cessé de me
surprendre. Murayama et La Casa ont composé douze pièces pas très longues (de
une à sept minutes) éditées selon des thématiques : évènements, parcs de
loisirs, chantiers de construction, espaces vides, couloirs, jardins. Il s’agit
d’enregistrements à deux en temps réels réalisés de janvier à juin 2012 sans
mixage. Des enregistrements bruts du quotidien parisien en somme, avec ses
moments de loisirs, de travaux manuels ou intellectuels, de calme, de vide, de
plein et de saturation, de fête, de détente ou de repos. La Casa et Murayama
semblent ne pas toujours vraiment s’intéresser aux prises de son pour leurs
caractéristiques « musicales », il s’agit plutôt de capter des
atmosphères, des ambiances, et surtout le dialogue qui s’instaure entre les
deux musiciens et cet environnement sonore.
Murayama et La Casa captent et interviennent dans des
environnements calmes, drôles, anxiogènes, durs, reposants, sales, propres,
etc. Des environnements parisiens. Certains sont très riches (les chantiers,
les stations de métro), d’autres sont monotones ou risibles, certains sont
populaires, d’autres élitistes. Il s’agit de composer avec ces espaces
publiques, de les capter, et de dialoguer avec. Et Murayama et La Casa semblent
saisir quelque chose d’essentiel aux environnements avec lesquels ils jouent.
Ils en saisissent quelque chose d’essentiel parce qu’ils se placent comme des
acteurs de cet environnement, ils ne sont pas en retrait comme des
documentaristes mais en plein cœur comme des acteurs de cet environnement.
Car en plus d’enregistrer ces espaces publics, de les capter
et de les modeler selon les enregistrements (choix de l’emplacement, du micro,
du volume, etc.), Murayama joue in situ. En fonction de l’atmosphère des
espaces, Murayama fait des bruits discrets qui se fondent dans l’univers
sonore, il produit des bruits incongrus qui rendent la situation encore plus
risible, il parasite les situations souvent, où se fond dedans, en bref il joue
avec. Il suffit souvent de pas grand-chose, un souffle retenu entre les dents
et les lèvres, un petit claquement de langue, mais ces interventions renforcent
l’action des musiciens dans l’environnement avec lequel il joue.
Un disque étonnant où les deux musiciens jouent avec leur
quotidien. Ils ne témoignent pas vraiment de ce qu’ils vivent, mais dialoguent
avec leur environnement, ils dialoguent de manière concrète et réelle, avec des
micros et de la voix, peut-être pour renforcer ou mettre en avant les processus
de stimulation de l’environnement sur la création.
SEIJIRO MURAYAMA +
ERIC LA CASA - Paris : public spaces
(CD, Ftarri, 2014) : lien