Organized music from Thessaloniki est un label
greco-britannique principalement géré par Kostis Kilymis et qui a déjà publié plusieurs
excellents disques de musiques nouvelles, expérimentales, improvisées et minimalistes.
Cette année, le label se consacre à deux artistes sonores qui travaillent le
field-recording dans des veines très singulières : Seth Cooke et Grisha
Shakhnes.
Grisha Shakhnes est un artiste sonore israélien qui publiait il
n’y a encore pas si longtemps sous le nom de mites. En fait, distance
and decay est son deuxième disque publié sous son nom après un premier LP sur le label de Jason Lescalleet. Quoi qu’il en soit, Grisha Shakhnes continue
d’explorer un même dispositif basé principalement sur l’utilisation de
cassettes, et il l’explore de manire toujours plus profonde, radicale et
personnelle.
Sur une petite table de mixage assez simple, Shakhnes branche plusieurs baladeurs et magnétophones
cassettes le plus cheaps possibles. Quelques pédales d’effets font également
parties du circuit, et c’est tout. Je parle du dispositif adopté, car il est
vraiment simple par rapport à l’originalité de sa musique, mais le plus
important n’est bien sûr pas la manière dont Grisha Shakhnes procède, mais le
résultat. Ce dernier utilise de nombreux enregistrements de terrain, pas au
sens habituel, car il n’enregistre pas des données sonores précises et
figuratives, mais plutôt des espaces. Il enregistre la résonance des espaces,
leur réverbération et leur acoustique pour n’en garder qu’une substance
nuageuse et flottante. Shakhnes utilise également quelques vieux
enregistrements de musique populaire désuets.
Après cette sélection d’ambiances sonores et d’atmosphères,
Shakhnes superpose plusieurs couches de bandes, conservent leur parasite et les
exploite avant tout en fait, il travail sur la déliquescence des bandes, sur
leur défaillance, sur l’opacité de l’environnement sonore et de son
enregistrement (de sa représentation sonore). Des thèmes plus qu’abordés en
fait sur ces quatre longues pièces. Ce sont les motifs principaux de ces longs
morceaux linéaires et monotones, minimalistes, crus et vraiment singuliers. Shakhnes
propose un travail de manipulation des cassettes, des cassettes volontairement
usagées qui se saturent vite, qui sont aussi mises en boucle parfois, et dont
il ne semble conserver que les défaillances, si l’enregistrement n’est pas
assez gris tel quel.
La musique de Shakhnes est une longue brume monotone qui ne
ressemble qu’à elle-même. Une musique qui se situe entre la musique concrète
cheap et le field-recording, dans une atmosphère moite, brumeuse, parasitaire, saturée
et industrielle. C’est assez difficile de décrire ce que représente l’univers
de cet artiste, c’est très évocateur par certains aspects, mais toutes les
évocations semblent très vite comme noyées dans les superpositions et la mise
en avant des parasites. Je reste très admiratif en tout cas devant la
singularité du résultat comparé aux moyens de production : un dispositif
simple et de plus en plus commun pour une musique unique et belle. Conseillé.
Je ne crois pas avoir déjà entendu grand chose de Seth Cooke par contre, hormis quelques apparitions
sur des compilations. Mais en tout cas, je suis ravi de découvrir un solo de
cet artiste anglais, même s’il ne s’agit que d’un mini CDR d’une petite
vingtaine de minutes.
Sur Sightseer, Seth Cooke propose une
petite suite de neuf miniatures créées à partir de « no recording,
recording, field recording et no-input field recording ». Bien sûr, quand
on voit ces « instruments », cette liste de procédés de création, on
se dit tout de suite que Seth Cooke est certainement un artiste marqué par deux
pratiques : le field-recording et le réductionnisme. Et en l’écoutant, on
se dit la même chose, mais Seth Cooke détourne chacune de ces pratiques pour
proposer une musique neuve.
Seth Cooke semble avoir parfaitement assimilé l’usage des
enregistrements de terrain aussi bien que les pratiques réductionnistes. Il
utilise ainsi des enregistrements d’environnements (simples la plupart du
temps, banals), quelques larsens légers et doux de temps à autre, du bruit
occasionnellement, et constamment des procédés simples et réduits. Et on ne
sait jamais trop où on est avec Seth Cooke : du field recording bruitiste
et improvisé ? des enregistrements noise ? de l’improvisation
environnementale ? des compositions pour table de mixage et enregistrements ?
Seth Cooke a développé une pratique et une esthétique
hybrides qui mélangent plusieurs éléments, qui vont du minimalisme à la noise,
de l’improvisation réductionniste aux compositions minimalistes, du field
recording « classique » aux expérimentations électroniques. Et j’en
passe certainement. En tout cas, je suis vraiment curieux d’en entendre plus de
cet artiste américain qui explore un langage que j’apprécie beaucoup.
SETH COOKE – Sightseer (mini CDR, organized music from thessaloniki, 2014) : lien