Splitrec est un label australien qui publie habituellement des cd-r de musique improvisée, de l'improvisation libre australienne surtout, avec Jim Denley, Chris Abrahams, Clare Cooper et d'autres. Il s'agit de petites éditions, mais pour la dernière, tout a changé. Teletopa, un groupe apparemment culte d'improvisation libre australien, qui a joué seulement entre 1970 et 1972, publié au choix en double CD, triple LP, ou en téléchargement payant. Jamais je n'avais entendu parler de ce groupe pourtant incroyable, Teletopa, qui comprend sur ce disque Geoffrey Collins (flûte, percussions et électronique), Peter Evans (percussion et électronique), David Ahern (violon, percussions et électronique), et Roger Frampton (percussion, électronique et saxophone).
Si, à cette époque, les membres de Teletopa jouaient la musique de Cornelius Cardew et d'autres compositeurs contemporains, si certains avaient également travaillé avec lui, ce qui les intéressait avant tout, c'était l'improvisation libre, dans sa version la plus radicale, exempte de tout lien avec le jazz. Comme les membres d'AMM ou de MEV, les membres de Teletopa ont plus de lien avec la musique contemporaine qu'avec les musiques improvisées européennes. Mais ce qui caractérise Teletopa, c'est peut-être son absence de lien avec la musique, car Teletopa fait de l'improvisation libre comme on fait aujourd'hui une installation sonore. Il ne sera pas question des sons ou de la forme proposés par ce groupe ici, mais plutôt de leur démarche, car elle est unique et c'est ce qui les caractérise le mieux à mon avis.
Comme on le voit dans la liste des instruments utilisés, il y a de l'électronique, beaucoup d'électronique, et les percussions sont souvent des objets trouvés (du verre, du bois, du plastique). Mais Teletopa ne fait pas ce qu'on appelle de l'improvisation électroacoustique. Objets, instruments, et électroniques se confondent dans l'environnement. Le principe de l'improvisation est d'être imprévue, une musique qui se fait dans l'instant. Et bien Teletopa a pris ce principe au pied de la lettre et a composé le présent. L'électronique est réduit ici à des micro-contacts, des tables de mixage et des haut-parleurs. Il s'agit d'amplifier l'environnement, d'amplifier le présent et de jouer avec. Roger Frampton "hait la musique", et avec Teletopa, on le ressent. Il ne s'agit pas d'improviser spontanément pour composer une nouvelle musique, pour produire une esthétique musicale nouvelle, il s'agit de jouer l'instant présent, de produire des sons spontanés avec l'environnement.
D'une certaine manière, on pourrait parler d'installation improvisée, ou plus simplement d'improvisation in situ au sens le plus littéral du terme. Que ce soit avec des instruments, des objets ou avec l'espace lui-même, Teletopa se propose, dans ces deux improvisations de cinquante minutes (les dernières avant la dissolution du groupe), d'improviser l'espace et l'environnement dans lequel il joue. L'espace résonne, les bruits se multiplient, l'environnement est transformé. Je n'ai rarement entendu d'improvisations aussi ancrées dans le présent, dans la spontanéité. Rien ne pouvait produire cette musique sinon là où elle avait lieu. Et de ce fait, jamais plus elle ne pourra se reproduire. Il y a quelque chose de magique, d'unique. Septembre 1972, NHK, Tokyo, Japon, les quatre membres de Teletopa ont à ce moment produit une performance sonore hors du commun, une performance longue, dure, bruitiste et brute, archaïque et austère, mais une performance présente, sans passé ni futur, une performance qui avait tout son sens à ce moment, qui n'en avait pas avant et qui n'en a plus aujourd'hui, sauf à travers le témoignage offert dans cet enregistrement. Un témoignage dont on se contentera et se délectera avec avidité et nostalgie. Car il est juste superbe.
TELETOPA - Tokyo 1972 (3LP/2CD/téléchargement, Splitrec, 2014) : lien