Michael Pisaro / Greg Stuart - closed categories in cartesian worlds

PISARO/STUART - closed categories in cartesian worlds (Gravity Wave, 2013)
Je termine cette session de chroniques à propos des collaborations entre Michael Pisaro et Greg Stuart par leur dernier disque donc : closed categories in cartesian worlds. La première chose que j'ai envie de dire, c'est que de tout ce que j'ai pu entendre de leurs disques, que les deux musiciens travaillent ensemble ou non, celui-ci est certainement le plus dur, le plus extrême et le plus radical. Une heure et quart de fréquences aigues et très aigues aux sinusoïdes et crotales, et pourtant, encore une fois, je trouve toujours ce travail passionnant.

La plupart des compositions de Pisaro font référence ou s'inspirent d'un ou de plusieurs artistes (Brancusi, Egger, Duras, et j'en passe). C'est presque systématique, et pourtant, rarement elles font référence à un musicien ou à un compositeur. Et depuis le temps que Pisaro joue sur l'interférence entre les sinusoïdes et les instruments, il était donc temps qu'il dédicace une composition à un autre musicien qui a également beaucoup travaillé dessus (ainsi que sur de nombreux phénomènes sonores) : Alvin Lucier. Avec closed categories..., c'est aussi la première fois que les sinusoïdes ne se glissent pas dans les instruments, mais que ce sont les instruments (des crotales ici) qui se glissent dans les sinusoïdes, ce qui rend peut-être encore plus exigeante cette oeuvre de Pisaro que les autres, mais aussi ce qui la rapproche plus que d'autres du travail de Lucier, et surtout, ce qui démontre une fois de plus le talent de Stuart.

Quoiqu'il en soit, voici ce que propose Pisaro et Stuart. Quatre pièces de 16 minutes chacune et qui se terminent toutes par un silence de deux minutes. Les quatre pièces sont structurées de la même manière : à une note au crotale, un choix de dix sinusoïdes est proposé, des sinusoïdes qui durent quatre minutes chacune : soit quatre fois quatre minutes de quatre sinusoïdes qui répondent à seize minutes d'un crotale frotté à l'archet. Une construction stricte et minimaliste qui laisse pourtant apparaître un univers sonore très riche et inattendu. Je n'ai pas écouter ce disque sans appréhension au départ, je pensais que ça risquait d'être assez ennuyeux. Et pourtant, pas du tout.

Déjà, il y a la nature des fréquences utilisées. Que ce soit les notes des crotales ou les sinusoïdes, il s'agit tout le temps de fréquences très aigues et très fines. Du coup, le moindre déplacement de l'auditeur par rapport à ses enceintes change très fortement la nature de la perception. Mais aussi et surtout, durant ces 72 minutes, la nature très fragile de ces fréquences offre la possibilité d'amplifier très fortement toutes les interférences entre elles. Le moindre changement de hauteur entraîne une vibration qui forme un univers sonore complètement autre. A chaque changement de sinusoïde aussi, l'univers sonore se transforme de façon très nette et c'est un tout autre univers sonore qui se forme, un univers qui ne touche pas du tout l'auditeur de la même manière que le précédent - au point de vue perceptif et psychologique.

Pisaro & Stuart ont ainsi construit un disque qui forme comme des segments sonores et mentaux. Des segments qui changent de couleurs toutes les quatre minutes, qui changent de dynamique, de texture, tout en restant exactement au même volume et à la même intensité (ce qui est peut-être aussi du au mastering de Joe Panzner, mais également, encore une fois, à la précision de Stuart, qu'on distingue à peine des sinusoïdes). Pisaro & Stuart dévoilent les hautes sphères des fréquences, ce qui se passe lors de la rencontre entre des fréquences très très aïgues, ils dévoilent des phénomènes sonores essentiels mais rarement perceptibles, des phénomènes courants qu'on entend rarement, mais qui sont ici amplifiés et explorés en toute simplicité, avec bonheur, intelligence, finesse, et beauté. Recommandé.